Très peu de réformes pour faciliter les affaires sous l’administration Martellyde Thomas Lalime| JobPaw.com

Très peu de réformes pour faciliter les affaires sous l’administration Martelly


Le verdict est tombé le mercredi 29 octobre 2014 : Haïti est classée 180e sur 189 pays en ce qui a trait à la facilité de faire des affaires dans le rapport Doing Business 2015 publié par la Banque mondiale. Elle s’intercale entre la Guinée-Bissau (179e) et l’Angola (181e).

Ce n’est pas tant le mauvais classement d’Haïti qui inquiète (puisque le chemin à parcourir pour créer un climat propice aux affaires est très long) mais plutôt sa rétrogradation. C’est l’un des pires classements du pays depuis la publication du rapport Doing Business. En effet, le pays occupait la 177e place sur 189 dans le rapport 2014. Il figurait entre le Niger (176e) et le Sénégal (178e). Dans le rapport 2013, il était positionné à la 174e place sur 185. Il avait occupé ce même rang (sur 183) en 2012 après avoir été classé 166e sur 182 en 2011. Puis, de 2010 à 2006, Haïti occupait respectivement les rangs suivants : 151e/183, 154e/183, 147e/181, 139e/175 et 134e/155.

Il importe de préciser que la publication du classement accuse toujours un retard d’environ 5 mois par rapport à la date de la collecte des données utilisées. Par exemple, le rapport 2015 qui vient d’être publié jeudi dernier utilise les données actualisées au 1er juin 2014. Autrement dit, si Haïti a entrepris des changements à partir du mois de juin 2014, ils ne figurent pas dans le présent classement.

L’administration Martelly avait utilisé, à juste titre, cet argument lors de la publication du rapport 2012 pour justifier qu’il s’agissait d’une évaluation du pouvoir précédent. Mais trois ans plus tard, il n’y a plus de prétexte, le rapport mesure la performance du pouvoir en place qui prône depuis son investiture une Haïti « ouverte aux affaires ». Pourtant, il n’entreprend, selon les rapports Doing Business 2012-2015, quasiment aucune réforme pertinente pour faciliter les affaires.

Le rapport Doing Business 2012 était d’ailleurs très claire: «Aucune réforme visant à faciliter l’activité commerciale n’a été observée en Haïti en 2010-2011.» En 2013 et 2014, les tableaux du classement général des pays ne souffrent d’aucune ambiguïté : zéro réforme en Haïti.

Il faut mentionner que le nombre de réformes rapportées ne tient pas compte de celles qui augmentent la difficulté de faire des affaires. Car la Banque mondiale veut avant tout évaluer l’attractivité du climat des affaires.

Le rapport 2015 ne fournit pas d’information sur le nombre de réformes engagées entre le 1er juin 2013 et 1er juin 2014. On peut juste noter qu’Haïti a régressé de trois places dans le classement général durant cette période. Ce qui peut également être considéré comme un indicateur d’absence de réforme ; même si le score d’Haïti a légèrement augmenté en 2015 par rapport à 2014. Et du 1er juin 2014 à aujourd’hui, étant donné le dysfonctionnement du Parlement, l’équipe au pouvoir ne peut faire valoir aucune réforme significative du cadre légal des affaires, l’outil par excellence d’attraction des investisseurs nationaux ou étrangers. Se basant sur ces rapports, comme le font les investisseurs étrangers potentiels, on peut conclure que le pouvoir en place n’a entrepris jusqu’ici aucune réforme significative du cadre légal des affaires.

Pourtant, le rapport 2015, intitulé «Doing Business 2015: au-delà de l’efficience», rappelle qu’une règlementation plus efficiente et des protections juridiques solides sont essentielles pour aider les entrepreneurs à prospérer. En effet, les économies capables à la fois d’améliorer l'efficacité des procédures réglementaires et de renforcer les institutions juridiques qui soutiennent l'entreprise, le commerce et l'échange sont mieux à même de favoriser la croissance et le développement économiques.

Les règlementations qui déterminent la facilité avec laquelle on peut créer une entreprise, la rapidité et l’efficacité avec laquelle les contrats sont exécutés et la documentation requise pour le commerce sont des outils par excellence de promotion d’investissement et de développement. Mieux encore, cela ne demande que de la bonne volonté politique, qu'une bonne coordination et du savoir-faire. Autrement dit, ce n’est pas par manque d’argent qu’aucune réforme n’a été entreprise.

«Améliorer ces règlementations ne coûte presque rien, mais cela peut jouer un rôle transformateur dans la promotion de la croissance et du développement », a fait remarquer Kaushik Basu, premier vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale. «Le succès ou l'échec d'une économie dépend de plusieurs variables; parmi celles-ci, souvent négligés, sont les rouages qui soutiennent le développement de l'entreprise et les affaires », a-t-il poursuivi.

L’absence de réforme du cadre légal des affaires durant les premières années de l’administration du président Martelly au pouvoir contraste avec leur volonté supposée d’ouvrir le pays aux affaires. Bien entendu, les proches du pouvoir trouvent une sublime excuse dans le dysfonctionnement du Parlement. Cependant, ce dysfonctionnement ne date pas de 2012; elle ne peut donc justifier l’absence quasi-complète de réforme. D’autant plus que les sénateurs Steven Benoit et Jocelerme Privert, président de la Commission des finances au Sénat, ont indiqué qu’aucun texte de loi n’est en souffrance au Grand Corps. Or, à la Chambre des députés, le pouvoir exécutif dispose d’une majorité confortable. Ainsi, si des lois sur la facilité des affaires existaient et qu’elles constituaient une priorité gouvernementale, elles seraient votées à la Chambre basse et transférées au Sénat. Donc, la responsabilité de l’absence de réforme n’incombe pas vraiment aux parlementaires.

Le cadre légal comme instrument de développement

Le rapport 2015 fournit assez d’informations sur d’autres pays à travers le monde qui réalisent des réformes encourageantes. Par exemple, on peut y lire l’extrait suivant : « Il y a 10 ans, l'importation d’intrants essentiels prenait 48 jours à un entrepreneur colombien. Désormais, cela ne lui prend que 13 jours aujourd’hui, le même nombre de jours qu’à un entrepreneur au Portugal. De même, la création d’une entreprise demandait 57 jours à un entrepreneur en herbe au Sénégal il y a 10 ans; et ce processus nécessite seulement six jours aujourd’hui; juste un jour de plus qu'en Norvège. En Inde, il y a un peu plus d'une décennie, un entrepreneur à la recherche d'un prêt pour développer son entreprise aurait eu peu de chance de l’obtenir, car les institutions financières n’avaient pas accès aux systèmes d'information permettant d’évaluer la solvabilité. Aujourd'hui, grâce à la création et l'expansion d'un bureau de crédit national offrant des notes de crédit et une couverture adéquate au même titre que celles de certains pays à revenu élevé, une petite entreprise indienne avec un bon dossier financier a plus de chances d'obtenir du crédit et d’embaucher plus de travailleurs. »

Le rapport entre donc dans des détails très spécifiques, ce qui contredit les propos de Georges Andy René, ex-directeur du Centre de facilitation des investissements et actuel directeur du Cadre de coordination de l’aide externe au développement (CAED), rapportés par notre confrère Roberson Alphonse. La méthodologie employée, affirme M. René, ne reflète pas exactement la réalité du terrain. Il poursuit : « L’administration Martelly/Lamothe a fait des efforts qui n’ont pas encore été pris en compte. Nous discutons avec IFC pour avoir une meilleure compréhension de la méthodologie.»

Alors, pourquoi le rapport mentionnerait-il les efforts réalisés dans tous les autres pays, sauf en Haïti? Comment expliquer qu’aujourd’hui encore les autorités ne comprennent toujours pas la méthodologie d’un rapport publié depuis plus de10 ans et qui n’a changé que de très peu?

Doing Business 2015 estime que plusieurs pays à faible revenu comme Haïti continuent d’adopter de meilleures pratiques règlementaires, en éliminant ainsi les procédures coûteuses et complexes et en renforçant leurs institutions juridiques. Cela enlève non seulement un fardeau pour les entrepreneurs locaux, mais améliore également l'économie du pays et la qualité de vie des personnes en créant un environnement des affaires meilleur et plus efficace.

Les rapports Doing Business présentent des indicateurs quantitatifs sur les règlementations des affaires et sur la protection des droits de la propriété qui peuvent être comparés entre 189 économies et sur plusieurs années. Des indicateurs quantitatifs, c’est-à-dire les beaux discours, les voyages et les rencontres avec les entrepreneurs potentiels ne suffisent pas à améliorer le score d’un pays. Les rapports évaluent les règlementations ayant une incidence sur les étapes de la vie d’une entreprise : création d’entreprise, obtention de permis de construire, raccordement à l’électricité, transfert de propriété, obtention de prêts, protection des investisseurs, paiement des taxes et impôts, commerce transfrontalier,exécution des contrats, règlement de l’insolvabilité et embauche de travailleurs.

C’est sur chacun de ces points qu’il faut faire des progrès si l’on veut progresser dans les prochains classements. Le rapport 2005 indiquait qu’il fallait 203 jours en Haïti pour ouvrir une entreprise pendant que cela se faisait instantanément dans d’autres pays. Dans les discours officiels, il est dit que ce délai a été réduit drastiquement avec l’ouverture d’un guichet unique. Mais tant qu’un nouveau rapport Doing Business ne relate pas ces progrès, les investisseurs étrangers potentiels et la presse internationale continueront à utiliser les anciennes données qui les font fuir Haïti.

Sur le terrain, pour un citoyen haïtien lambda, obtenir les documents juridiques nécessaires à la création d’une entreprise, dédouaner des matières premières peuvent aujourd’hui encore prendre énormément de temps. Obtenir un prêt bancaire lui est quasiment impossible. En cas de litige dans l’exécution d’un contrat, il ne peut pas compter sur une décision judiciaire juste, équitable et indépendante. Donc, il n’est pas exempt d’abus.

Ces indicateurs sont utilisés pour analyser les résultats économiques et identifier les réformes de la règlementation des affaires qui ont porté leurs fruits, les économies où elles ont été adoptées et les motifs de leur mise en œuvre. Et c’est sur ces facteurs qu’il faut agir, contrairement à ce que pense le porte-parole de la Présidence, Lucien Jura qui a affirmé au Nouvelliste du weekend que « Ce classement prouve que le président Martelly doit continuer à voyager à l’étranger, rencontrer des entrepreneurs, les encourager à investir en Haïti.»

Le président peut passer tout son mandat à voyager, rencontrer et encourager les entrepreneurs, mais le pays continuera à occuper la queue de peloton dans les classements sur la facilitation des affaires tant qu’aucune réforme structurelle n’est engagée. Et les investisseurs ne feront que consulter ces rapports pour se faire une idée réelle du climat des affaires en Haïti avant d’y investir le moindre sou.

Le rapport Doing Business 2014 précisait : «Un secteur privé florissant contribue à une société plus prospère, car il permet à de nouvelles entreprises de créer des emplois et de développer des produits novateurs. Les pouvoirs publics jouent à cet égard un rôle crucial car ils apportent une dynamique au cadre des entreprises. Ils fixent les règles qui définissent et clarifient les droits de propriété, qui réduisent le coût associé à la résolution des litiges et qui augmentent le caractère prédictif des transactions économiques. En l’absence de règles judicieuses uniformément appliquées, les entrepreneurs ont plus de difficultés à créer et à développer des petites et moyennes entreprises qui sont pourtant des outils de croissance et de création d’emplois dans la plupart des économies du monde.»

En offrant une perspective unique des bonnes pratiques à l’échelle mondiale en matière de réglementation des affaires, Doing Business incite les décideurs politiques à réduire le coût et la complexité des procédures administratives et à améliorer la qualité des institutions. Les changements constatés servent surtout les économies les plus défavorisées, où un nombre accru d’entreprises est entré dans le secteur formel, où les entrepreneurs sont plus à même de développer leur entreprise et de créer des emplois et où les travailleurs peuvent davantage bénéficier des avantages de la réglementation.

Les dirigeants haïtiens font toujours peu de cas de ces recommandations. Et c’est tant pis pour le pays qui continue à s’enliser dans le sous-développement ainsi que la majorité de ses habitants qui croupissent dans la misère.




Rubrique: Economie
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 3 Nov 2014
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