Subvention des produits pétroliers : une épine au pied du gouvernementde Thomas Lalime| JobPaw.com

Subvention des produits pétroliers : une épine au pied du gouvernement


À partir du 10 octobre 2014, le prix de la gazoline 95 passera à 215 gourdes, le gasoil à 177 et le kérosène à 171 gourdes. On s'attend en conséquence à une augmentation du niveau général des prix. Comment pourra-t-on rendre plus efficace notre consommation énergétique?
Des 52 milliards de gourdes de recettes internes prévues pour l’exercice fiscal 2012-2013, seulement 44 milliards ont été effectivement perçues. Il y a eu un manque à percevoir de 8 milliards, soit 15 % du montant de la prévision. Ce déficit, selon les propos du ministre de l’Économie et des Finances, M. Wilson Laleau, au micro de notre confrère Kesner Pharel, provient de la subvention des produits pétroliers (6 milliards) et de celle de l’Électricité d’Haïti (2 milliards). Une vraie épine au pied du gouvernement.

Or, dans la conjoncture socioéconomique actuelle, il sera difficile pour le gouvernement de laisser fluctuer les prix à la pompe. De peur qu’une telle mesure fasse grimper les prix du transport en commun avec des répercussions néfastes sur le prix de certains produits de première nécessité, ce qui pourrait contribuer à alimenter la mobilisation politique antigouvernementale qui a été entamée en 2013. D’ailleurs, le faible taux d’inflation de 4,5 % enregistré l’année dernière peut avoir quelque chose à voir avec la subvention des produits pétroliers.

Quand le président René Préval devait laisser répercuter le prix à la pompe selon les fluctuations du prix sur le marché international, il avait dû réunir une bonne partie de la presse au palais national pour justifier le bien-fondé d’une telle décision et implorer l’indulgence des leaders d’opinion et de la population en vue de faire face aux conséquences de la hausse des prix à la pompe. Si ceux-ci devraient augmenter en 2014, le gouvernement pourrait se trouver confronter à un grand dilemme. Il lui faudra répondre à deux délicates questions : Jusqu’à quel point pourra-t-il continuer à subventionner le prix à la pompe ? Jusqu’où la population pourra t-elle supporter une hausse de ce prix?

Pour faire face à l’augmentation des prix du pétrole dans les années 2000, Daniel Gérard Rouzier avait proposé des pistes de solution pour alléger le fardeau que représente la facture des produits pétroliers sans nécessairement toucher au prix à la pompe. Il suggérait d’uniformiser le taux de taxation sur les produits pétroliers à hauteur de 35 %, de contrôler rigoureusement la qualité du pétrole livré à la pompe, de réhabiliter la capacité de l’Électricité d’Haïti (Ed’H) à consommer le mazout, de réduire la propension des ménages haïtiens à consommer du pétrole, d’éliminer la taxe sur les voitures de moins de 1000 cc et de reconstruire les routes.

Ces propositions, faites à une ancienne émission hebdomadaire « Le Magazine économique » de notre confrère Kesner Pharel sur Radio Métropole, demeurent importantes aujourd’hui encore et méritent d’être reprises.

En fait, le pétrole est un produit transversale et indispensable. La majorité des produits que nous consommons en découlent. Et comme nous n’en produisons pas, il n’existe aucune possibilité d’agir sur l’offre en vue d’influencer le prix. Il faut plutôt regarder du côté de la demande.

Pour réduire la dépendance au pétrole, beaucoup de pays non producteurs investissent-ils dans la recherche et le développement afin d’inventer des produits qui utilisent peu ou pas de pétrole. À Montréal (Canada) par exemple, à côté des véhicules hybrides utilisant le pétrole ou le carburant, circulent déjà des voitures électriques, à batterie rechargeable. Les bornes de recharge existent dans les parkings publics. Le transport en commun se fixe un délai pour se doter uniquement de voitures électriques. L’État de son côté offre des incitatifs fiscaux à tous ceux qui veulent les acheter.

L’uniformisation de la taxation

Si l’État ne peut subventionner le prix à la pompe, des mesures concrètes peuvent être prises dans le court-terme en vue de compenser la baisse des recettes publiques. M. Rouzier prônait l’uniformisation des taux de taxation sur les différentes variétés de pétrole livrés à la pompe. Actuellement, à l’importation, les prix du gasoil et de la gazoline sont quasiment égaux. Toute la différence au niveau du prix à la pompe provient de la taxation appliquée par l’État haïtien. Selon la dernière note relative au prix du pétrole disponible sur le site du ministère de l’Économie et des Finances (MEF), en date du 22 mars 2011, le prix de la gazoline 95 est fixé à 200 gourdes contre 162 pour le gasoil.

Pourtant, le prix CIF (Cost, Insurance and Freight) de la gazoline 95 ne s’élevait qu’à 124 gourdes à l’époque. Les droits de douane se chiffraient à 37 gourdes, soit 30 % du prix CIF. Tandis qu’il n’y a pas de droit de douane sur le gasoil dont le prix CIF s’élevait à 129 gourdes. Cette pratique de taxation discriminatoire, d’après le P-DG de la Sun Auto, provient de la structure établie par le régime de François Duvalier qui estimait qu’à l’époque, la gazoline était utilisée par la couche aisée de la population tandis que le diesel et le kérosène étaient plutôt consommés par les plus démunis, notamment les paysans. À cette époque, près de 70 % de la population vivaient à la campagne et utilisaient les moyens de transport à base diesel.

La composition de la population haïtienne ne garde plus cette structure. On observe plutôt l’inverse : près de 70 % de la population d’aujourd’hui est urbaine et utilisent à plus de 70 % des engins qui consomment de la gazoline. Comme en attestent les nombreux chauffeurs de taxis et de camionnettes. Le concessionnaire d’automobile avait fait remarquer que ces dernières années, la demande et la vente des voitures diesel avaient fortement augmenté. Les prix élevés de ces voitures écartent toute possibilité que les ménages de petites bourses se les procurent. Cette fraction de la population est vouée aux véhicules usagés importés à base de gazoline et qui consomment beaucoup de carburant. Donc, ce sont les moins fortunés qui utilisent les véhicules gazoline aujourd’hui.

Ainsi, l’actuelle structure des prix, pèse lourd sur la population à bas revenu qui supporte majoritairement le fardeau de la hausse des prix à la pompe. Et il proposait aux autorités d’uniformiser le taux de taxation pratiqué sur les différentes variétés de pétrole. Cette mesure aurait la particularité de pouvoir permettre au gouvernement de maintenir le même niveau de recettes sur les produits pétroliers tout en facilitant une importation et une consommation intelligentes des produits pétroliers. On pourrait observer une diminution du prix de la gazoline 91 et 95 afin de soulager les petites bourses et une augmentation du prix du diesel. Ce, à la grande joie des chauffeurs de taxi mais au grand dam des chauffeurs de poids lourds à base diesel. Une politique économique ne fait jamais que des heureux ou des malheureux.

Encourager l’importation des voitures de moins de 1000 cc

M. Rouzier avait également suggéré une élimination de la taxe sur l’importation des petites voitures de moins de 1000 cc. Celles-ci présentent l’avantage de consommer moins de gazoline. Cette mesure permettrait à la population de pouvoir se disposer de voitures neuves, leur préservant des coûts d’entretiens élevés, mais elle exigerait que l’on continue à réhabiliter ou à construire les routes. Puisque la mauvaise qualité des artères recommande généralement la possession des véhicules tout terrain, grands consommateurs d’essence.

Dans les années 2000, 80 % des importations de véhicules étaient des diesels, selon les données qu’avançaient M. Rouzier qui avait précisé qu’à cette époque, les droits de douane sur une petite voiture gazoline de moins de 1000 cc étaient deux fois plus élevés que sur les voitures de luxe. Rien n’indique que les choses ont trop changé depuis. L’État haïtien incite donc, par l’actuel barème de taxation des véhicules importés, les Haïtiens à se procurer des véhicules diesel plus chers et plus polluants. L’inversion de cette tendance épargnerait annuellement au pays des millions de dollars américains puisque les voitures diesel coûtent généralement plus chères. Dans les pays développés, on encourage plutôt à acheter des voitures gazoline, moins polluantes.

M. Rouzier avait mis l’accent sur la nécessité d’un meilleur contrôle de qualité de l’essence à la pompe. Le kérosène étant moins cher, certains vendeurs le mélangent avec de la gazoline, beaucoup plus chère. Les conséquences ne se font pas attendre. D’après les données de M. Rouzier, Haïti, à elle seule, importait dans les années 2000 beaucoup plus de «pompes injection» que la Caraïbe et l’Amérique latine réunies. Les coûts d’entretien des véhicules pèsent donc très lourd sur le budget des ménages. Il avait proposé aux autorités compétentes d’exiger la coloration (en rouge par exemple) de la gazoline afin que tout mélange éventuel soit perceptible par l’acheteur.

En contrôlant la qualité de l’essence à la pompe et en encourageant l’importation des voitures de moins de 1000 cc, l’État haïtien éviterait une grande partie des fuites de devises. Et la pression sur le taux de change pourrait connaître un certain ralentissement.

Du mazout pour l’ED’H

L’Électricité d’Haïti (Ed’H), grande buveuse de pétrole n’avait pas échappé à l’analyse de M. Rouzier. Il avait indiqué que le système de l’ED’H est conçu pour utiliser le mazout et non le diesel. Mais l’utilisation du mazout requiert, à priori, un traitement du mazout qui se fait à partir d’un four de chauffage. Cet appareil tombant en panne, l’ED’H se livrait à la consommation de diesel, pourtant 56 % plus cher. « Si l’ED’H retourne à la consommation de mazout, elle permettrait à l’État d’économiser annuellement près de 48 millions de dollars américains », avait précisé M. Rouzier à l’émission. Si l’on ne connaît pas les progrès réalisés par l’Ed’H en ce sens, il ne fait aucun doute que sa dette annuelle s’élève à 2 milliards de gourdes, soit 4,5 % des recettes publiques en 2013. Les nouvelles centrales électroniques offertes à Haïti par le Venezuela devaient fonctionner au mazout.

Autant d’éléments qui peuvent enrichir le débat sur la politique énergique nationale qui ne doit en aucun cas se limiter à une question de production et de distribution de courant électrique. Dans tous les pays développés, la production de l’énergie verte et la réduction de la dépendance au pétrole en constituent deux piliers essentiels. Il faut réfléchir également à une consommation intelligente de l’énergie. Par exemple, le Canada vient d’interdire à compter du 1er janvier 2014 la vente d’ampoules de 100 watts jugées trop polluantes et trop énergivores. Une décision que les États-Unis et certains pays de l’Union européenne avaient déjà adoptée.

Rubrique: Economie
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 8 Oct 2014
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