Pour une démocratisation de l’éducation de qualitéde Thomas Lalime| JobPaw.com

Pour une démocratisation de l’éducation de qualité


Un vrai branle-bas s’opère dans le paysage des écoles publiques depuis leur performance en moyenne médiocre aux derniers examens officiels. Le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, a annoncé tout un train de mesures afin de rectifier le tir. 406 directeurs et censeurs des différents lycées de la République se sont réunis les mercredi 20 et jeudi 21 août 2014 à Port-au-Prince pour partager leurs expériences et discuter des causes de l’échec. On ne peut que se réjouir de cette prise de conscience, il est vrai tardive, mais salutaire. Mais qu'en est-il des écoles privées "borlettes"? Analyse des résultats du bac I dans le département de l'Ouest en 2014.
Un vrai branle-bas s’opère dans le paysage des écoles publiques depuis leur performance en moyenne médiocre aux derniers examens officiels. Le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, a annoncé tout un train de mesures afin de rectifier le tir. 406 directeurs et censeurs des différents lycées de la République se sont réunis les mercredi 20 et jeudi 21 août 2014 à Port-au-Prince pour partager leurs expériences et discuter des causes de l’échec. On ne peut que se réjouir de cette prise de conscience, il est vrai tardive, mais salutaire.

Le débat sur le relèvement de la qualité de l’éducation doit faire l’objet d’un projet social impliquant tous les citoyens, indépendamment de leur appartenance politique et religieuse ou de leur classe sociale. Puisqu’il y va de la lutte contre l’exclusion sociale, contre la pauvreté extrême, contre les inégalités criantes, bref…du développement national.

Il faut donc tout faire pour éviter que la démarche ne se transforme en une vaste campagne politicienne. Il faut en profiter pour convoquer de nouveaux États généraux de l’éducation. On peut commencer par les écoles publiques puisqu’elles représentent les éléments par lesquels on observe l’importance que l’État accorde à l’éducation. Mais dans son essence, le problème demeura entier, car les écoles publiques ne représentent pas plus que 10 %. Donc, même si leur taux de réussite passerait à 100 %, le problème de la qualité de l’éducation changera seulement d’un iota. Le nœud gordien reste les nombreuses écoles privées « borlettes ».

En fait, on peut aisément compter cinq catégories d’écoles à Port-au-Prince par ordre de performance aux examens officiels. La première contient les écoles privées, majoritairement congréganistes, qui ont réalisé 100 % de réussite au bac I en 2014. On y trouve seulement 15 établissements scolaires totalisant 458 élèves, dont l’Institution Saint-Louis de Gonzague, le Collège Marie-Anne, le Petit-Séminaire Collège Saint-Martial, le Collège Catts Pressoir et le Collège Saint François d’Assise (1).

La deuxième catégorie regroupe les écoles dont les performances varient entre 80 % et 99.9 %, au nombre de 26 écoles pour un total de 1 249 élèves. Elle commence par le Collège Méthodiste de Frères (97.4 %), passe par le Collège Marie Dominique Mazzarello (95.29 %) et se termine par le Centre de Don Bosco, Riobe de Gressier (80 %). Il faut noter la présence du Lycée Marie Jeanne dans cette catégorie avec 81.41 % de réussite, soit le lycée le plus performant en rhéto recensé dans le département de l’Ouest.

Le Collège Mixte Jean Franck Saint-Cyr commence la troisième catégorie avec 79.17 % de réussite et prend fin avec le Centre d'Études Secondaires Ernest Vaval (60 %). On compte dans cette classe 64 établissements scolaires pour un ensemble de 2 768 élèves. Les lycées technique Elie Dubois (74.42 %), Jean Paul II de Kenscoff (66.67%), du Cent Cinquantenaire (66.3 %) se trouvent dans ce groupe. Quant à la quatrième catégorie, elle rassemble les 50 écoles, dont quatre lycées (2 332 élèves) qui ont eu entre 59.15 % de réussite, soit le Collège d’enseignement classique, et celles ayant obtenu 50 %, le Collège classique d’Haïti intégré de Delmas. Le reste des 1 211 écoles formant la cinquième catégorie réalise moins de 50 % de réussite au bac I dans le département de l’Ouest.

En clair, seulement 155 écoles sur 1 366, soit 11.35 % ont réalisé plus de 50 % de réussite au bac I. Uniquement 6 807 élèves sur 103 522 participants de la rhéto du département de l’Ouest, soit 6.6 %, ont eu plus de 50 % de chance de réussir leur bac I en 2014. Sur la liste des établissements scolaires ayant participé à cet examen, 54 (4 %) dont 2 lycées, ont réalisé un taux d’échec de 100 %. On dénombre 1 159 sur 1 366 (84.8%) à obtenir moins de 4 élèves réussis sur 10.

On comprend que les écoles publiques ne représentent que la pointe de l’iceberg. Le vrai problème demeure ce millier d’écoles privées qui obtiennent un taux de réussite inférieur à 30 %. Avec tous les efforts sociaux et financiers consentis par les parents, un taux d’échec de 80 % représente une perte sèche pour la société avec des conséquences sociales encore plus alarmantes.

Que faire ?

Faire passer le taux de réussite au bac I de 21.31%, le niveau de 2014, à 70 % relève d’un exploit collectif titanesque qui prendra du temps. Malheureusement, l’administration Martelly/Lamothe est en train de rater une rare opportunité de jeter les bases du renouveau du système à travers le Programme de scolarisation universelle, gratuite et obligatoire (Psugo). Ce programme devait servir à améliorer la qualité et augmenter l’offre scolaire publique au niveau national. Car si l’État augmente le nombre d’écoles publiques offrant un enseignement de qualité, aucun parent ne serait intéressé à payer pour des services d’éducation si médiocres offerts dans les écoles privées « borlettes». La construction de nouvelles écoles publiques serait une politique très efficace à long terme mais qui offrirait peut-être moins d’occasions immédiates pour la propagande politicienne.

Paradoxalement, l’équipe en place avait choisi de récompenser les écoles privées « borlettes» en les finançant à travers l’envoi des enfants au coût de 90 dollars américains l’an à travers le programme Psugo. Qui oserait offrir ce montant à une des écoles les plus performantes aux examens officiels ? Il semble évident que la meilleure façon de contraindre les écoles privées « borlettes» à augmenter leur standard d’enseignement est la construction et le fonctionnement adéquat d’écoles publiques en quantité suffisante. Par exemple, au Québec, seulement 12 % de l’ensemble des élèves fréquentent les écoles privées, comparativement à 20 % en France.

Sans une progression significative de l’offre scolaire publique de qualité, les écoles de mauvaise qualité plomberont tout effort visant le virage vers la qualité de l’éducation nécessaire au développement national. Il faut saluer en ce sens la décision du ministre Manigat de concentrer cette année le Psugo sur les écoles nationales. Une façon, faut-il admettre, pour le gouvernement d’admettre que ce programme a été mal orienté.

Sauf que l’on vient déjà de perdre trois ans à claironner l’envoi de plus d’un million d’enfants à l’école. Quelle école ? Beaucoup de ressources ont été gaspillées dans la propagande officielle avant que, à ce qu’il paraît, le gouvernement n’entende la raison. Le cap doit maintenant être mis sur la construction de nouvelles écoles publiques : primaires, secondaires, professionnelles et universitaires. Le fonds national d’éducation ne devrait servir qu’à cette fin.

La catégorisation ci-dessus mentionnée montre comment le système éducatif perpétue les criantes inégalités au sein de la société haïtienne. Aujourd’hui, seulement 0.4 % des élèves de rhéto du département de l’Ouest sont certains à 100 % de réussir. Ils reçoivent une éducation de très bonne qualité, leurs professeurs sont parmi les plus compétents, ils bénéficient de plus de jours de travail. Leur environnement socioéconomique est relativement reluisant. Ils ont de meilleurs instruments didactiques et pédagogiques ainsi qu’un encadrement pédagogique efficient tant à l’école qu’à la maison.

Ils iront probablement à la meilleure faculté de la place ou à l’étranger. Ils occuperont les grandes fonctions, ils prendront ou influenceront les grandes décisions du pays. L’administration actuelle regorge d’anciens élèves de l’Institution Saint-Louis de Gonzague, classée parmi les écoles à réputation de 100 % de réussite au bac. Le président de la République, Michel Martelly, y a fait un passage.

À l’inverse, la grande majorité des élèves recevront une éducation de piètre qualité. Ils jouiront de moins de jours de travail, accèderont aux moins bons professeurs et à des écoles délabrées, dépourvues d’environnement propice à un apprentissage efficace. Ils ne réussiront pas leur bac, n’atteindront pas une bonne université. Ils seront sous-qualifiés et, de ce fait, sujet à toutes formes de manipulations, notamment politiques, lors des manifestations de rue.

Le système éducatif haïtien, dans son état actuel, passe à côté de sa mission fondamentale : donner des chances égales à tous les enfants du pays de réussir leur vie. Le président dominicain, Danilo Medina, lors du lancement de la nouvelle année scolaire, a mis en exergue l’enjeu d’une éducation de qualité. Celle-ci, dit-il, permettra aux enfants de tenir la compétition, sur un même pied d’égalité, pour les meilleurs emplois. Cette compétition, mondialisation oblige, est à la fois locale, régionale et internationale. Et la répartition des établissements scolaires selon leur performance au bac I montre que toute une catégorie sociale perd à l’avance cette bataille.

Au marché du travail, ils n’auront pas les mêmes opportunités. Ils n’auront pas les meilleurs emplois, même dans leur pays qui embauche plutôt les techniciens, firmes et ingénieurs étrangers, notamment dominicains, brésiliens et philippins. D’où la persistance des criantes inégalités sociales en Haïti. Ils perpétueront la pauvreté, donc le sous-développement.

Et c’est pour faire face à ces enjeux que l’État se doit de mettre en œuvre un réseau d’écoles publiques performantes à tous les niveaux de l’enseignement : préscolaire, primaire, secondaire et universitaire. Le meilleur exemple vient de l’ancienne Premiere ministre du Québec, Pauline Marois, également ancienne ministre de l’Éducation nationale, qui a envoyé ses enfants aux écoles publiques québécoises. « […] Comme pour moi, un ministre de l'Éducation a le devoir d'être exemplaire (et doit) envoyer ses enfants à l'école publique», avait lancé Pauline Marois en campagne électorale, au mois d'août 2012. Un principe que même les membres de son gouvernement n’ont pas respecté.

Mais le message, semble-t-il, était plutôt l’importance de s’assurer de l’existence d’un réseau d’écoles publiques qui n’a rien à envier aux meilleures écoles privées de la place. L’idéal est d’arriver à des écoles publiques que même le fils du président de la République ou la fille du Premier ministre n’auraient aucun complexe à fréquenter. Autrement, Haïti continuera à produire des citoyens de première zone avec toutes les chances de réussir et des citoyens de dixième zone côtoyant l’échec en permanence.

Bref, on voit bien, à travers les performances contrastées de nos écoles, les rouages d’une dangereuse stratification sociale que dénonçaient les sociologues français Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers (1964) et dont le seul vrai remède, valable pour la France des années 1960 comme l’Haïti de ce nouveau millénaire, est une véritable démocratisation de l’éducation de qualité.

1) Voir la liste complète au http://menfp.gouv.ht/bac/RHETO/OUEST.pdf


Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr

Rubrique: Education
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 26 Aout 2014
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