Regards sur le logiciel managérial haïtiende Erno Renoncourt| JobPaw.com

Regards sur le logiciel managérial haïtien


Nous avons toujours dénoncé les mauvaises pratiques de nos hommes politiques, mais nous n’avons jamais osé regarder cette pratique managériale de soumission et d’adaption qui annihile toute compétence et fait des beaux jours à la flagornerie et à la flatterie. Au demeurant, il sera aisé de prouver la propriété transitive de ce paradigme d’adaptation comme pivot de la matrice organisationnelle haïtienne :
• de «professionnels » plus soucieux de faire carrière que de vivre leur compétence s’adaptent aux exigences des «managers »,
• des «managers » plus enclins à rester en poste que d’assumer éthiquement leur responsabilité s’adaptent à toute sorte de « commande » pour flatter l’ego des dirigeants,
• Et ces «dirigeants » élus ou nommés ou imposés choisiront toujours ce profil de «managers » qui eux-mêmes recruteront le même profil de «professionnels »…

Et ce beau monde se donne la main dans une insidieuse mécanique qui formate le logiciel organisationnel haïtien. C’est encore une communauté d’intérêts qui agit pour que le système fonctionne comme un automate schizophrène qui s’accommode d’un environnement peu exigeant où s’adapter pour survivre devient la seule règle.
« Regards sur le logiciel managérial haïtien : Hyperactivité schizophrénique contre efficacité organisationnelle ! »

Le contexte de cette réflexion :
Je me permets de partager avec vous une nouvelle réflexion que m’a dictée la réalité fonctionnelle de nombreux professionnels confrontés dans leur carrière à l’impérieuse obligation de choisir entre adaption et indignation. J’ai pensé dans un premier temps intituler mon papier « De la difficulté d’être un vrai professionnel en Haïti », mais j’ai laissé mûrir ma pensée pour en faire un article plus profond en enlevant le côté « conclusif » qui aurait dénaturé la pertinence de la réflexion. Aussi mon article est devenu : « Regards sur le logiciel managérial haïtien : Hyperactivité schizophrénique contre efficacité organisationnelle ! »

Management Schizophrène
Comme on s’en doute, il s’agit d’un immense déficit de vision stratégique et de compétence qui amène certains managers à privilégier un modèle organisationnel hyperactif et boulimique au détriment d’une organisation efficace et apprenante. Sous l’égide de ces « managers » l’organisation « s’immobilise » dans une spirale névralgique qui vise davantage à donner l’impression de faire en multipliant les fronts d’activité mais sans réelle stratégie et sans tableau de bord de pilotage.

Du coup, ces managers, davantage engagés dans une démarche de conservation de leur poste, vont s’installer dans une routine démotivante : la multiplication de petites activités qui vont contribuer à enrichir le rapport annuel que d’ailleurs personne ne lira, mais qui sera potentiellement mobilisable pour obtenir de nouveaux financements.

Et convaincus d’avoir le monopole de la pensée unique, ces «managers» finissent par développer une expertise qu’ils revendiquent haut et fort l’expertise de l’échec sur-titrée de polyvalence et de généralisation ! Au nom de la polyvalence, on recherche des profils « d’homme à tout faire », et au nom de la généralisation, on estompe les compétences métiers des acteurs pour privilégier le bricolage à la spécialisation qui garantit l’efficacité.

Dans ce mic mac artisanal qui emprunte un pseudo langage technique, les cadres se retrouvent à la merci de l’interprétation que les managers se font du fonctionnement organisationnel. On ne sait pas si on est consultants ou employés. On est affecté à des unités techniques sans aucune fiche opérationnelle de mission. On met en place des unités qui restent sans animation fonctionnelle et opérationnelle. Des affectations de responsabilité sont imposées sans tenir compte des précédentes affectations et sans tenir compte de la charge de travail nécessaire pour produire un travail de qualité. Des activités sont implémentées sans étude de faisabilité et de pertinence. Il n’existe aucun tableau de suivi des risques des activités. Des études sont conduites sans rigueur scientifique et sans souci de performance organisationnelle. On revisite des sentiers battus, on s’installe dans des lieux communs. On fait l’éloge de l’adaption et de la polyvalence comme critère suprême de performance. On programme des réunions interminables qui débutent sans ordre du jour et qui se terminent sans aucun mécanisme de suivi. Ici pas de tableau de bord de pilotage, pas d’outils de communication, aucune notion de management stratégique !

Les symptômes d’une organisation schizophrène
En ces lieux qui, pourtant, revendiquent toutes les méthodologies de l’univers, l’organisation se coupe du monde, s’installe dans sa propre logique convulsive et autiste, elle prône des valeurs qu’elle ne respecte pas et communique de façon erratique. Elle souffre d’un complexe qui l’oblige à s’agiter frénétiquement sur plusieurs fronts en conduisant des dizaines d’étude sans réelle motivation organisationnelle.

On peut recenser plusieurs manifestations de cette schizophrénie organisationnelle telle qu’elle existe en Haïti :
L’absence de méthode de management , L’absence de cadre communicationnel formel, L’absence de souci de performance opérationnelle , Le culte de l’adaption conduisant à la pensée unique , Le culte de la surcharge de travail faisant l’apologie de la polyvalence et de la généralisation.

La menace comme méthode de management
Mais quand certaines voix osent s’élever pour dire qu’on ne devrait pas s’adapter à de telles situations, les managers pour, justifier leur incompétence et/ou leur irresponsabilité, s’abritent derrière un indécent chantage qui est la seule expression de leur « leadership » : la menace de résiliation de contrat et le rappel de leur attribut d’autorité.

Malheureusement, la précarité de la vie socio-économique et la détresse morale et humaine qui s’abattent, comme une nuit épaisse et obscure, sur Haïti forcent certains professionnels à s’adapter et à renoncer à ce qui donne noblesse et fierté à l’esprit et à l’intelligence : «le droit à l’indignation ! ». Il y a lieu aussi d’indexer l’attitude de « marronnage » inscrite génétiquement dans la pratique et la démarche professionnelles haïtienne : « on garde le silence et on s’aligne sur les vues erronées de l’organisation dans les réunions, mais on les dénonce une fois qu’on est entre pairs ou à l’abri des oreilles « administrativement répressives ».

Cette ambiance organisationnelle délétère et pervertissante nous rend presqu’incapable de vivre dans une ambiance professionnelle saine, aussi n’est-il pas rare de voir, dans certaines organisations, des collègues dénigrer le travail d’autres collègues compétents, simplement parce qu’ils ne partagent pas la même vision des choses.

Des managers éthiques pour des responsabilités éthiquement assumées
En partageant avec vous cette réflexion, mon vœu est de jeter un regard sur cette pratique managériale qui est à contre-courant d’un management éthique où l’entreprise et les cadres inscrivent leurs actions dans une synergie positive pour optimiser les processus de performance et maintenir l’organisation dans un cycle d’efficacité.

Dans les meilleures écoles de management, dit-on, on apprend que l’exercice de la responsabilité n’est pas naturel : on dit qu’Il faut s’entraîner à mettre les valeurs de l’organisation au service des cadres et au service du bien commun. S’entrainer à promouvoir une saine ambiance de travail et la fierté d’une production de valeur. .S’entrainer à motiver la spécialisation des métiers de l’organisation tout en s’ouvrant a d’autres expériences. S’entrainer à accompagner le changement.

Sans cet entraînement, les valeurs relèvent du verbiage. Avec cet entraînement, les valeurs conduisent à la pratique d’une responsabilité éthiquement assumée. Toute la magie de l’efficacité organisationnelle se trouve dans l’attitude du manager qui abandonne sa posture d’autorité pour une posture d’apprentissage, d’ouverture, d’expérimentation, afin de stimuler sa créativité et celle de ses cadres. L’organisation devient alors une organisation apprenante qui s’ouvre aux idées nouvelles et aux autres.

Nous avons toujours dénoncé les mauvaises pratiques de nos hommes politiques, mais nous n’avons jamais osé regarder cette pratique managériale de soumission et d’adaption qui annihile toute compétence et fait des beaux jours à la flagornerie et à la flatterie. Au demeurant, il sera aisé de prouver la propriété transitive de ce paradigme d’adaptation comme pivot de la matrice organisationnelle haïtienne :
• de «professionnels » plus soucieux de faire carrière que de vivre leur compétence s’adaptent aux exigences des «managers »,
• des «managers » plus enclins à rester en poste que d’assumer éthiquement leur responsabilité s’adaptent à toute sorte de « commande » pour flatter l’ego des dirigeants,
• Et ces «dirigeants » élus ou nommés ou imposés choisiront toujours ce profil de «managers » qui eux-mêmes recruteront le même profil de «professionnels »…

Et ce beau monde se donne la main dans une insidieuse mécanique qui formate le logiciel organisationnel haïtien. C’est encore une communauté d’intérêts qui agit pour que le système fonctionne comme un automate schizophrène qui s’accommode d’un environnement peu exigeant où s’adapter pour survivre devient la seule règle. Du reste, n’est-ce pas « l’accommodement et l’adaptation qui, en capes successives, plongent l’esprit humain dans la fange, la laideur et l’obscurité » ?….N’est-ce pas ce que culturellement nous avons érigé en morale proverbiale « Pito nou lèd , nou la ».

Mais je conclue sur une note résolument optimiste en croyant à l’émergence d’un groupe de cadres exaltés capables de revendiquer au nom d’une certaine forme d’indépendance et de beauté de l’intelligence le droit à l’indignation. Ils ne sont peut-être pas nombreux à avoir le courage d’assumer leur indignation, mais ils sont nombreux à partager les valeurs que j’exprime tout aussi ici. Et c’est pour donner voix à cette armée silencieuse, que j’ose dénoncer cette imposture managériale. C’est aussi pour leur dire qu’à force de se taire ils finiront, demain, à leur tour, par emprunter le visage et le style de ceux qu’ils n’osent aujourd’hui dénoncer.

Erno Renoncourt, Erno.renoncourt@yahoo.fr , Janvier 2014

Rubrique: Divers
Auteur: Erno Renoncourt | erno.renoncourt@yahoo.fr
Date: 12 Fév 2014
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