Semaine de relâche pas comme les autresde Ronald Estrade| JobPaw.com

Semaine de relâche pas comme les autres


La semaine de relâche est une période de l’année où l’école est fermée aux élèves et que les enseignants peuvent vaquer à d’autres occupations à part l’enseignement de leurs classes habituelles. Cette année j’ai choisi de participer à la conférence du Grahn Haïti-Éduc’2012 à Port-au-Prince et d’animer l’Atelier de Port-de-Paix. Les conférences étaient toutes plus pertinentes les unes que les autres. J’ai pu apprendre, élargir mes contacts professionnels mais ma semaine de relâche ne fut pas de tout repos.
En quittant mon poste de conseiller pédagogique pour retourner à mon poste d'enseignant, j'ai retrouvé l’un de mes privilèges: la semaine de relâche. C’est une période de l’année où l’école est fermée aux élèves et que les enseignants peuvent vaquer à d’autres occupations à part l’enseignement de leurs classes habituelles. Cette année j’ai choisi de participer à la conférence du Grahn Haïti-Éduc’2012 à Port-au-Prince et d’animer l’Atelier EUE’2012 de Port-de-Paix pour la «Formation des agents éducatifs». Quelques mois avant la tenue de l’événement, j’ai participé activement aux activités de financement. Plusieurs personnes, amies de ma congrégation religieuse, collègues du Centre de formation professionnelle, directeurs-adjoints et même la directrice du Centre où j’enseigne ont acheté le stylo de $5.00 canadien en guise d’encouragement. C’est pourquoi, j'ai un devoir de fournir un compte-rendu, d’où la rédaction de cet article.

Comme je suis habituellement chanceux, j’ai eu le privilège d’avoir les élèves de ma classe jusqu’à la dernière journée et jusqu’à la dernière minute, ce qui m'a laissé peu de temps pour faire mes bagages. Toutefois, j’ai pris le vol régional d’American Eagle de Montréal le dimanche 4 mars 2012 vers New York en compagnie du président de l’organisation. On croirerait que nous étions en première classe. Si je ne fais pas attention, je penserais que notre gentillesse avec l’agente à l’aéroport est la conséquence de notre confort particulier. Mon ordinateur et mon projecteur n’ont pas été aussi chanceux que mon interlocuteur et moi. Malgré leur présence dans un bagage à main, ils ont été obligés de se rendre dans la soute à bagage vu l’étroitesse de l’avion. Heureusement, j’ai pu les récupérer à New York. À l’aéroport JFK, j’ai fait la connaissance d’autres formateurs haïtiens et étrangers venant de divers horizons avec le désir d’apporter leur contribution pour le bien-être de la population haïtienne. Ensemble, nous nous dirigeons vers Haïti pour animer des ateliers avec une cinquantaine de personnes dans l’une de six villes ciblées soit Port-au-Prince, Port-de-Paix, Cap-Haitien, Hinche, Jérémie ou les Cayes. Le départ vers la capitale s’est fait sans heurt dans un gros porteur et je pouvais sentir la joie de mon bagage à main dans un tel environnement.

En arrivant à destination à l’aéroport international Toussaint Louverture, je fus agréablement surpris de voir les nouvelles installations aéroportuaires. Passé la douane et les contrôles habituels, je me suis dirigé vers la sortie où m’attendait quelqu’un de bien spécial. J’allais loger chez lui durant mon séjour dans la capitale haïtienne et il a la chance d’habiter les hauteurs surplombant Port-au-Prince dans un village où l’urbanisation est bien pensée. Ce qui est très rare depuis bien des années. Mon prochain réflexe a été l’acquisition de mon billet pour Port-de-Paix. Dans la planification de mon voyage, j’ai utilisé le Site web de Tortug Air pour la grille horaire et j’avais hâte d’avoir mon billet d’avion. En le recevant, je fus surpris de réaliser que d’après l’horaire établi de la compagnie aérienne, je devrais être dans le vol de 14h en direction du département du Nord-ouest. Ce qui est impossible car j’ai atterri à 14h55 d’American Airlines. Donc il me fallait négocier un nouveau vol pour le lendemain lundi.

Après maintes négociations, je me suis trouvé avec 15 autres passagers dans le vol régional de 14h le lendemain lundi à destination de Port-de-Paix à bord d’un biréacteur fabriqué en Czechoslovakie meurtri par la faim et la fatigue. La franchise des bagages enregistrés de Tortug Air étant de 15 kg par personne. J’ai dû payer un surplus de $40.00 US en plus des $ 240.00 US pour l’aller et le retour de Port-de-Paix pour mes bagages qui étaient au bon poids dans les vols internationaux. Ce qui est un prix exorbitant à mon goût pour un vol sans air climatisé d’une trentaine de minutes. Comme c’était la première fois que je me rendais à destination de Port-de-Paix, je me suis grandement renseigné sur les coutumes locales auprès d’une port-de-paixienne assiste à mes côtés pour faciliter la gestion de mon atelier.

En arrivant au petit aéroport en terre battu, je fus reçu par deux membres de la présidence de Grahn Port-de-Paix qui m’ont emmené au local de l’atelier après avoir essayé en vain de me réserver un vol de retour pour jeudi matin. J’avais fait la même tentative sans succès dans la capitale haïtienne. Donc en débutant ma périple, je n’avais aucune garantie de transport aérien à la fin de la formation. Arrivé au Centre Multimédia de Port-de-Paix, j’avais le cœur bien gros en croisant le regard des participants de l’atelier des agents éducatifs. Ainsi j’ai commencé mon animation le plus vite que possible et j’ai eu la chance de découvrir le parcours de chacun des enseignants, des directeurs et des autres intervenants. Dans la soirée, accompagnée de la présidence de Grahn Port-de-Paix, j’ai eu la chance de rencontrer les notables de la ville pour expliquer le but des ateliers et de l’accompagnement suggéré.

La formation du mardi a jumelée la gestion de classe, l’éducation relative à l’environnement et la gestion d’un établissement scolaire. J’ai essayé de faire sortir les participants de leur zone de confort, et nous avons questionné ensemble plusieurs acquis du monde de l’éducation haïtien, y compris les châtiments corporels en milieu scolaire. Nous avons essayé de résoudre le problème des cellulaires et du non respect des directives en général à cause de l’ingérence de la politique dans tant de domaines de la vie nationale. Dans cette aventure rocambolesque, le mercredi est vite arrivé. Après la fin de l’atelier, il y a eu une conférence de presse avec les invités d’honneur, j’ai dû expliquer la pertinence de ma présence et de mes interventions. Finalement nous avons terminé avec les habituelles séances de photos.

J’ai séjourné au Merventina, un hôtel de la rue B. Sylvain (Route de chalet) proche de la mer. Les clients ne sont pas nombreux, j’ai croisé un français travaillant pour l’ONU et nous avons échangé un peu. Le fait d’être en minorité par rapport aux travailleurs de l’hôtel m’a permis de discuter de bien des sujets chauds en toute intimité avec le personnel. Par exemple, j’ai discuté des problèmes de sécurité avec l’agent de sécurité, des problèmes de choix au menu avec le personnel d’accueil et la cuisinière. Mais dans toutes les circonstances, la conversation a été franche et chaleureuse.

Comme mon vol de retour n’était pas assuré pour mercredi dans la soirée ni pour le jeudi matin, la présidence du Grahn a décidé que le président et moi rentrerons à Port-au-Prince en autobus. Prendre un autobus de transport public faisant le trajet de Port-de-Paix vers Port-au-Prince est un chemin de croix à bien des égards. Mais aucune description ne serait assez précise pour expliquer cet état de fait. Ainsi je pense qu’il est plus approprié de décrire mon propre voyage.

Je suis arrivé sous bonne escorte à la station vers les 10h du soir pour reposer ma valise et mon bureau ambulant (bagage à main) en toute quiétude. Comme le chemin est très poussiéreux, mes effets ont été habillés de sacs de poubelle en plastique pour assurer leur survie. Compte tenu de l’étroitesse des sièges, ma valise a été placée sur le dos du camion-bus. Je me suis installé proche de la fenêtre, j’ai déposé mon bagage à main au milieu et le président du Grahn de Port-de-Paix s’est placé juste à côté. C’est pourquoi trois places de passagers ont été achetées en la circonstance. Aux environs de minuit, le bus était pratiquement rempli. Et des blagues plus ou moins sexistes commençaient à envahir l’assistance. Définitivement ce n’était pas la clientèle de Tortug Air. Il m’a fallu utiliser beaucoup de tact pour encourager un minimum de respect mutuel sans me faire remarquer. Les sièges de l’autobus sont conçus pour accueillir deux personnes en Amérique du Nord. Mais dans le département du Nord-Ouest, les numéros sont distribués de façon à favoriser l’installation de trois personnes de stature moyenne. Sur le siège en arrière situé juste en arrière de moi, en plus des deux autres personnes, une maman, faute de moyens financiers est arrivée avec deux bébés en bas âge et un jeune homme d’une dizaine d’années. Il est tout à fait normal que l’espace d’un siège est insuffisant pour accueillir autant de personnes. Il fut donc décidé d’asseoir les enfants sur les genoux des passagers. Il en va de soi, que mon relatif confort fut dénoncé à la clameur publique et nous avons dû accueillir l’enfant le plus âgé. Ainsi malgré le déboursé du surplus de billet (trois billets pour deux personnes), j’ai dû transporter mon bagage à main sur mes genoux et partager le maigre confort des autres passagers. C’est la justice à l’haïtienne.

Bien que tous les passagers soient présents, pressés comme des sardines en boîte, le chauffeur d’autobus n’a pas engagé le voyage et il a attendu 3 heures du matin pour commencer le périple en se mettant en caravane avec d’autres autobus à destination de Port-au-Prince aussi. Au début j’ai apprécié l’initiative, nous disons souvent que l’union fait la force mais c’est un moyen efficace de protection pour combattre l'insécurité publique. Toutefois, mes illusions ont vite disparus en voyant les courses que les uns faisaient avec les autres aux petites heures du matin. J’avais peur, les bébés pleuraient, la poussière s’infiltrait partout et à un moment donné la musique trop forte s’est mise de la partie. Toutes les conditions étaient réunies pour avoir un terrible accident ou du moins pour me mettre de mauvaise humeur. J’ai résisté de mon mieux, mais un des pneus de l’autobus a éclaté en chemin avant d’arriver à Saint-Marc, petite ville côtière du département de l’Artibonite. C’était une bonne occasion pour se dégourdir les jambes et tout le monde en a profité. Le voyage a pris fin comme son début et nous sommes arrivés à Port-au-Prince, dans la gare routière de Port-de-Paix au boulevard de La Saline, à l'entrée du wharf de Jérémie très tard par rapport à l’heure d’arrivée prévue.

Nous sommes arrivés à Port-au-Prince à 8h du matin, la conférence du Grahn allait débuter à 8h30. Pour atteindre notre but et participer à la conférence à l’hôtel Karibe (situé à Juvénat à Pétion-Ville), il fallait trouver un moyen de transport fiable, rapide pour nous rendre à destination. Au début, le président de Grahn Port-de-Paix sonda tous ses contacts sans succès. Comme celui qui m’héberge est parti en mission professionnel au Cap-Haitien, j’ai tenté de contacter le chauffeur de la compagnie de construction. Mais lui aussi avait de la difficulté compte tenu de l’heure et de la circulation automobile très intense de la capitale. Ainsi le président choisit l’inévitable : deux motos taxis. Ce moyen de transport sans garantie de sécurité n’a jamais fleuré mon imagination. Ainsi sans dire un mot, je me suis installé derrière un inconnu, accompagné de mon bagage à main qui s’est retrouvé sur le guidon de la moto. Quant à ma valise de 20 kilos, elle s’est retrouvée ficelée sur le porte-bagage de la moto d’en avant d’où prenait place le président de Grahn Port-de-Paix. J’ai fait de mon mieux pour cacher ma peur. Nous avons zigzaguées à travers les véhicules pendant la circulation. J’ai essayé de me rappeler des souvenirs en passant sur la route de Delmas mais surtout j'ai fait de mon mieux pour me calmer. Finalement, nous sommes arrivés à destination et j’ai pu me nettoyer et me changer. Naturellement, nous sommes allés au Juvénat en moto avec vestons et cravates où j’ai pu retrouver ma sérénité. Les conférences étaient toutes plus pertinentes les unes que les autres. J’ai pu apprendre, élargir mes contacts professionnels mais je n’ai pas pu me garder de parler de la politique le jeudi de l’après-midi où nous avons dû évacuer les lieux d’urgence. À ce qu’on dit, ce pays est lié à sa politique.

Vendredi dans la soirée, grâce à une invitation dans un restaurant libanais de Pétion-Ville, j’ai pu participer à une soirée mondaine. Le lendemain matin, je me suis rendu au village de Labrousse, situé au sud-ouest de Port-au-Prince. Pour y accéder, il faut sillonner une route en terre battu argileuse dans les montagnes proches de la ville de Miragoâne. C’est un moyen idéal pour constater la prolifération des taxis-moto et de constater les savoirs des gens de la terre de chez nous. Je suis tombé en amour avec ce lieu et j’aimerais bien y passer une partie de ma vieillesse. J’ai visité l’école secondaire, le réseau hospitalier et la maison des coopérants. Comme je ne vois pas d’école professionnelle, je pourrais éventuellement collaborer pour encadrer la formation des jeunes dans des métiers utiles à la communauté. Après tout la formation professionnelle a toujours été pour moi une passion.

Le lendemain dimanche, c’est le voyage de retour pour retrouver ma famille et mon pays d’accueil. C’est aussi le moyen de me reposer de toutes les émotions de mon pays d’origine. C’est l’occasion de conclure que ma semaine de relâche ne fut pas de tout repos, mais ce n'est rien par rapport au bonheur que m'a apporté de partager mon savoir pour faire progresser l'Éducation en Haïti.

Rubrique: Education
Auteur: Ronald Estrade | restrade@hotmail.com
Date: 16 Mars 2012
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