Evans Paul aura-t-il les moyens de sa politique ?de Thomas Lalime| JobPaw.com

Evans Paul aura-t-il les moyens de sa politique ?


Le Premier ministre désigné Évans Paul aura à faire face à deux obstacles majeurs. L’un politique, l’autre économique. Sur le plan politique, il sera confronté, comme ses prédécesseurs Garry Conille et Laurent Lamothe, à l’obstacle Martelly et son entourage. Le président fait des promesses partout où il passe sans s’assurer des moyens de les réaliser. Voulant toujours tout accaparer, la Présidence voit en la Primature une rivale qui ne jouit pas toujours de la confiance du chef de l’État, de ses amis et de ses conseillers.

À ce jeu perfide, Garry Conille n’a pas survécu. Contre le camp et le clan Martelly, son successeur Laurent Lamothe a engagé la bataille jusqu’au bout. Et s’il a remporté plusieurs combats, il ne peut pas prétendre avoir gagné la guerre. Évans Paul aura-t-il gain de cause?

Avec son expérience politique et sa perspicacité, il devrait pouvoir s’en sortir. Ses plus grands soucis seront plutôt économiques. Car, comme l’avait dit le chef de l’État en avril 2014, les caisses de l’État sont vides. Et, à écouter la ministre de l’Économie et des Finances démissionnaire, Marie Carmelle Jean-Marie (MCJM), qui intervenait le jour de l’An au micro de notre confrère Kesner Pharel sur Radio Métropole, elles n’ont pas été renflouées depuis.

Au contraire, avec la chute du prix du pétrole sur le marché international, nous dit MCJM, la quote-part que devait apporter le programme PetroCaribe au budget de l’État passera de 21 milliards de gourdes à 14 milliards de gourdes. Peut-être moins si le prix continue de dégringoler. Rappelons qu’en subventionnant le prix à la pompe, le gouvernement se trouve privé des taxes sur l’importation du pétrole qui représentait pour lui un revenu sûr par le passé.

De plus, l’incertitude politique qui sévissait au pays au cours de l’année fiscale écoulée a provoqué un ralentissement des importations qui se traduit également par une baisse des recettes douanières.

Dans l’ensemble, précise MCJM, il faudra soustraire entre 10 à 15 milliards de gourdes des prévisions budgétaires actuelles qui passeront à 112,6 milliards ou 107,6 milliards de gourdes. D’ailleurs, les investissements publics sont en baisse en 2014 parce qu’il faut respecter ces contraintes budgétaires. Le paiement de la dette sur PetroCaribe n’a pas non plus aidé.

Le nouveau gouvernement devra donc réviser à la baisse les prétentions de son devancier à travers un budget rectificatif. Et ce ne sera pas simple dans une année électorale. L’austérité risque d'être le maitre-mot du gouvernement Paul. Déjà, MCJM propose que l’on sape les dépenses non essentielles. Le problème, c’est qu’aucun ministre ne va accepter le fait que les dépenses de son ministère soient considérées comme inopportunes.

Le problème économique au départ se transformera sur le terrain politique où les ministres proches de la présidence disposeront des enveloppes pleines et les autres hériteront d’une peau de chagrin. Quel rôle jouera Évans Paul dans cette répartition qui déterminera la réussite ou l’échec de ses ministres? Il convient de rappeler que l’ex-Premier ministre Garry Conille n’avait pu désigner aucun ministre. Il n’avait même pas le pouvoir de se nommer lui-même comme ministre de la Planification et la Coopération externe, selon les témoignages de son ancien chef de cabinet, Dr Rony Gilot.

L’état actuel des finances commande un gouvernement de petite taille. Pourtant, ils sont nombreux les partis politiques à réclamer leur tranche de gâteau. Sans tenir compte de la rareté de la farine. La constitution du gouvernement sera le premier signal de sa capacité à gouverner que donnera Évans Paul. De-là germeront les premières graines de crédibilité et de confiance que l’on accordera à ce nouveau gouvernement et à son chef.

Le gouvernement Paul ne pourra pas compter sur les maigres ressources publiques locales pour réussir. Elles servent en grande partie à payer les salaires et traitements des fonctionnaires publics qui ont cru de 13 % par rapport à l’exercice précédent. Les ressources locales s’élevaient à 47,1 milliards de gourdes pour l’exercice fiscal 2013/2014. Parallèlement, l’État a dépensé 22,6 milliards de gourdes en salaires et traitement, soit 48 % des ressources locales.

Retour au financement par la création monétaire?

Le gouvernement Paul ne pourra pas non plus compter sur le financement de la Banque centrale par la création monétaire. Malgré la forte tentation qui revient depuis la présidence de Martelly pour ce genre de financement, les institutions de Brettons Woods interdisent cette pratique. Et depuis le gouvernement de transition de Gérard Latortue, on n’y recourait plus. Mais en septembre 2014, d’après le Tableau des opérations financières de l’État, la Banque centrale a financé le déficit budgétaire du gouvernement à hauteur de 5,3 milliards de gourdes, une augmentation de 132 % par rapport à septembre 2013. Quand ces financements se font par création monétaire, on voit les répercussions négatives sur le taux de change : la gourde se déprécie comme c’était le cas au dernier trimestre de 2014.

L’une des rares options à la disposition du nouveau gouvernement demeure le financement par l’émission de bons du Trésor. Mais jusqu’ici, déplore MCJM, ce moyen est utilisé pour payer les dettes de l’État au lieu de financer des projets d’investissement. Le gouvernement Lamothe a même recouru à des émissions de bons du Trésor pour financer des travaux à haute intensité de main-d’œuvre pour permettre une certaine circulation de l’argent dans la population. D’aucuns diraient pour calmer la grogne de la rue.

Il y aura donc un arbitrage délicat à faire entre privilégier le social ou l’économique. La ministre des Finances opterait pour l’option économique à travers le financement des projets d’investissements rentables qui puissent créer des emplois dans les secteurs agricoles, manufacturiers et de transformation des produits agricoles. Dans le long terme, les retombées de ces projets supporteraient le social et un vrai décollage économique.

À l’inverse, le régime Martelly a fait choix du social avec les programmes Ede Pèp, Ti manman chéri, Kore Etidyan, etc. qui s’avèrent insoutenables sur le long terme avec la chute des recettes publiques et de celles du programme PetroCaribe. Cette option attire davantage les autorités politiques qui peuvent se vanter d’avoir réduit le nombre de pauvres comme l’ex-Premier ministre Lamothe l’a fait dans son discours bilan/démission. L’inconvénient, c’est que si l’État n’arrive plus à financer ces programmes faute de ressources, les bénéficiaires retomberont immédiatement sous le seuil de pauvreté. Et le pays ne progressera d’un iota. À ce yoyo, les politiciens haïtiens ont joué depuis belle lurette.
Il faut quand même admettre qu’Évans Paul a environ un an à passer à la Primature s’il a la chance d’aller jusqu’au bout du mandat du président Martelly. En ce cours laps de temps, sa mission principale sera d’organiser des élections crédibles. Mais durant cette période, il aura quand même à engager l’État sur le long terme. Par exemple, des élections frauduleuses hypothéqueront l’avenir de la nation pour au moins la prochaine décennie comme on en avait fait l’expérience en 2001.

Pour revenir à l’émission les bons du Trésor, il existe également des inconvénients. C’est que seules les banques commerciales en bénéficient. Donc, les impacts réels sur les investissements privés sont faibles puisque ces banques accordent peu de crédits à l’économie nationale. Au contraire, elles préfèrent investir dans ces bons sans risque au lieu de participer au financement des projets plus risqués. MCJM va encore plus loin : ils sont contreproductifs pour le moment puisqu’ils ne financent pas les investissements. Ils ne permettent à l’État que de financer le déficit budgétaire. Ce n’est donc pas une surprise que la croissance économique en 2014 a été des plus faibles.

La ministre des Finances a également mentionné le projet de titrisation des créances des collectivités territoriales d’un montant de plus de 3 milliards de gourdes afin de payer les dettes envers l’Électricité d’Haïti (EDH). Toujours dans la même logique de financer le déficit des entités publiques.

Le gouvernement Paul devra envoyer des signaux clairs d’un nouveau départ en termes de transparence et de bonne gouvernance pour assoir sa crédibilité afin de convaincre la communauté internationale de la nécessité de lui accorder un appui budgétaire susceptible de lui permettre de créer les conditions acceptables de réalisation d’élections crédibles. Cela nécessitera des interventions sociales que le Trésor public ne pourra pas financer.

Rubrique: Economie
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 5 Jan 2015
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