Quel système judiciaire pour la promotion des investissements en Haïti?de Thomas Lalime| JobPaw.com

Quel système judiciaire pour la promotion des investissements en Haïti?


Depuis la thèse de l’efficacité de la Common law par rapport au droit civil français, soutenue par le juriste américain Richard Posner en 1973, plusieurs chercheurs ont tenté de la prouver empiriquement. Parmi les travaux les plus cités qu’elle a inspirés- plus de 10 125 citations- on retrouve le fameux « Law and Finance » de Rafael La Porta, Florencio Lopez-de-Silanes, Andrei Shleifer et Robert Vishny, paru dans le Journal of Political Economy (vol. 106, no.6 en 1998).
Cet article analyse les règles de droits garantissant la protection des actionnaires et des créanciers selon qu’elles dérivent de la Common law ou du droit civil ainsi que la qualité de leur mise en œuvre à travers 49 pays. La différence de protection des droits des investisseurs diffèrent selon système légal adopté. Par exemple, un actionnaire français n’a pas les mêmes privilèges qu’un actionnaire américain, indien, mexicain, haïtien…Si la protection des investisseurs influence la décision d’investir et de financer des firmes, alors la finance doit être très reliée aux règles de droit et à leurs respects.
Si traditionnellement, les actions et les obligations sont reconnues pour leur valeur monétaire et les dividendes qu’ils génèrent, elles le sont moins pour le droit qu’elles accordent à leur détenteur. Pourtant, les actions donnent le droit de voter pour les dirigeants de l’entreprise, les dettes accordent le droit au créancier de saisir le collatéral en cas de défaut de paiement du créditeur. Ces droits donnent aux investisseurs le pouvoir d’extraire des managers des rendements sur leurs investissements. Ainsi, les actionnaires reçoivent des dividendes parce qu’ils peuvent voter contre leurs dirigeants lors de la prochaine assemblée générale et les créanciers sont payés parce qu’ils peuvent saisir les collatéraux.
Les différences de protection légale des investisseurs peuvent donc expliquer le financement et la propriété des firmes. Elles peuvent expliquer pourquoi l’Allemagne dispose d’un marché si peu développé mais un large et puissant secteur bancaire. Elles peuvent aider à comprendre également pourquoi la prime de vote – le prix des actions avec droit de vote élevé par rapport aux actions avec faible droit de vote- est faible en Suède, aux États-Unis et beaucoup plus élevée en Italie et en Israël. Ou encore pourquoi les actions russes avaient peu de valeur immédiatement après la privatisation et pourquoi les compagnies russes n’ont pas vraiment accès au financement externe. On peut y trouver également les raisons pour lesquelles la propriété de beaucoup de compagnies américaines et anglaises est si dispersée.
Différence entre les systèmes juridiques
En général, les lois commerciales viennent de deux traditions: Common law de tradition anglaise et le droit civil ou le droit romano-germanique qui dérive de la loi romaine. Celui-ci est le plus ancien, le plus influent et le plus répandu. Il a donné naissance à trois familles majeures de système légal: le droit civil français, le code civil allemand et le code civil scandinave.
Le droit civil français utilise les statuts et les codes compréhensifs comme bases du dispositif légal. Écrit sous Napoléon en 1807, il a été imposé par son armée en Belgique, au Pays-Bas, sur une partie de la Pologne, en Italie, dans les régions de l’Allemagne de l’Ouest, dans les anciennes colonies françaises en Afrique, en Indochine, en Océanie et dans la Caraïbe francophone. Il a aussi influencé significativement le Luxembourg, le Portugal, l’Espagne, des cantons suisses et l’Italie. Même après les colonisations portugaises et espagnoles, l’Amérique latine continuait à s’inspirer du code français. Le code commercial allemand (1897), lui, a influencé la théorie et la doctrine légales en Autriche, en Tchécoslovaquie, en Grèce, en Hongrie, à la Yougoslavie, au Japon et à la Corée. Les lois taïwanaises, elles, s’inspirent de la Chine qui a largement emprunté au code allemand durant ses modernisations.
Le code scandinave est généralement vue comme faisant partie de la tradition du code civil, bien que moins dérivatif de la famille des lois romaines que celles françaises et allemandes. La famille Common law et celles qu’elle inspire, est dictée par les juges qui ont eu à résoudre des disputes spécifiques. Elle est utilisée dans les colonies anglaises: les États-Unis, le Canada, l’Australie et l’Inde. La différence fondamentale entre le Common law et le droit civil réside dans le fait que le premier attribue la production des lois en priorité aux juges avec une importance particulière à la jurisprudence. Tandis que le droit civil accorde la primauté de la production des textes légaux aux législateurs, parfois étrangers au fonctionnement du système judiciaire. Le côté pragmatique de la Common law, puisqu’elle est rédigée par les praticiens, en garantit une plus grande applicabilité.
Vingt et un des 49 pays de l’échantillon utilisé par La Porta et ses coauteurs ont des lois dérivées du code civil français, six du code civil allemand, quatre du code scandinave et 18 du Common law. Les auteurs étudient pour ces pays les droits de vote des actionnaires, les protections légales contre l’expropriation ainsi que le respect de la sécurité des prêts, la facilité de saisir les collatéraux et la possibilité du manager de gérer à ses profits plutôt qu’à ceux de l’entreprise. Ils partent de l’hypothèse que les actionnaires sont mieux protégés quand les droits de dividende sont étroitement liés aux droits de vote, quand les entreprises sont sujettes à la règle « une action, une vote ».
La Common law facilite davantage les investissements
Les auteurs concluent que les pays qui adoptent la Common law offrent un meilleur cadre légal de protection aux actionnaires. 39 % d’entre-eux admettent le vote par mail dans les assemblées générales, ils ne bloquent jamais l’accès aux actionnaires aux assemblées générales, 94 % protègent les actionnaires minoritaires. Ils exigent très peu de capital (9 %) pour réclamer une assemblée extraordinaire des actionnaires. Ce qui conduit dans l’ensemble à une plus grande protection des droits des actionnaires et constitue ainsi un meilleur incitatif aux investissements.
Les pays adoptant le Code civil français offrent, en général, les pires protections légales aux actionnaires. Moins d’un tiers acceptent le principe « une action une vote », très peu (5%) admettent la possibilité de voter par mail et à peine ¼ ne bloquent pas les transactions des actions durant les assemblées générales. Ils exigent une part importante de capital pour pouvoir réclamer une assemblée extraordinaire.
La plupart des pays adoptant le droit civil allemand adoptent le principe « une action une vote », ils exigent peu de vote pour réclamer une assemblée extraordinaire, ils ne bloquent généralement pas les actions avant les assemblées et n’admettent pas de vote par mail. Tandis que le cadre légal scandinave ne détient pas de mécanisme d’oppression d’actionnaires minoritaires, n’admet pas le principe « une action, une vote », n’accepte pas le vote par mail à l’exception de la Norvège.
Les auteurs montrent que les pays adoptant la Common law garantissent en moyenne une meilleure protection des droits des investisseurs et des préteurs alors que ceux qui appliquent le Code civil français offrent la pire protection des droits des investisseurs et des créanciers. Les pays avec code civil allemand et scandinave se retrouvent au milieu du tableau. Par exemple, les actionnaires minoritaires en Australie peuvent voter par mail, vendre leurs actions pendent une assemblée, sont protégés contre l’expropriation et doivent réunir seulement 5 % des votes pour réclamer une assemblée extraordinaire. Alors qu’en Belgique, au contraire, ils ne peuvent pas voter par mail ni vendre leurs actions durant une assemblée, ne sont pas protégés contre l’expropriation et ont besoin de 20 % des actions pour exiger une assemblée extraordinaire. Ces résultats indiquent que les actionnaires évoluent dans des systèmes complètement différents avec des incitatifs différents sur la création d’entreprises et les investissements.
La mise en œuvre de la loi diffère également selon le système juridique adopté. Les pays avec code civil allemand et scandinave ont une meilleure qualité de mise en œuvre. Ceux avec la Common law ont une qualité moyenne de mise en œuvre et ceux avec le code civil français ont la plus mauvaise qualité de mise en œuvre. Cette faible qualité de la mise en œuvre a conduit les investisseurs à développer des mécanismes de substitution à la faible protection des investisseurs. La concentration de la propriété est un de ces mécanismes de protection les plus répandus. Elle est d’autant plus élevée que la protection des actionnaires est faible. Ces différents résultats tiennent compte de la différence de revenu dans les pays considérés. Il importe également de noter que les pays scandinaves sont plus proches de ceux adoptant la Common law.
Les résultats montrent aussi que les systèmes judiciaires avec un environnement légal attrayant sont également ceux qui ont un niveau élevé d’application des lois. Les entreprises des pays avec faible protection des investisseurs ont une propriété des actions plus concentrée. Car les actionnaires doivent avoir plus de capital pour exercer leur droit de contrôle et éviter d’être expropriés par les managers. De plus, quand les investisseurs sont faiblement protégés, ils vont vouloir acheter des actions à faible prix, ce qui décourage la réémission des actions par les corporations et encourage la concentration. La concentration de la propriété constitue également une sorte de protection contre un système légal faible. On a justement constaté une plus forte concentration de la propriété dans les pays à code civil français. De même, les pays avec un niveau élevé de reddition de compte ont un plus faible niveau de concentration. Une augmentation de 20 points de % dans la reddition de comptes réduit la moyenne de la concentration de propriété de 6 points de %. Relativement, les pays adoptant la Common law davantage les investissements.
À un moment où les dirigeants haïtiens parlent de la réforme du système judiciaire et de promotion des investissements, les réflexions de La Porta et ses collègues pourraient être instructives et devraient occuper une place prépondérante dans les débats. Outre l’efficacité relative de la Common law, notre choix de système judiciaire doit aussi être guidé par celui de nos principaux partenaires politiques et commerciaux. Il existe très peu d’avantages pour le pays à continuer à faire usage du droit civil français avec, pour la plupart, des lois désuètes et inopportunes. D’ailleurs, mondialisation oblige, on défend présentement la thèse d’une convergence des systèmes légaux vers la Common law. Saurons-nous anticiper le cours de l’histoire ?

Rubrique: Economie
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 18 Nov 2014
Liste complète des mémoires et travaux de recherche