Inaugurer un aéroport est une chose, le rentabiliser en est une autrede Thomas Lalime| JobPaw.com

Inaugurer un aéroport est une chose, le rentabiliser en est une autre


La construction de l’aéroport de Mirabel débutait en 1970 sous le gouvernement de Pierre Eliott Trudeau. À cette époque, Montréal rayonnait comme première métropole canadienne, hôte de la fameuse expo 67 et préparait les jeux olympiques de 1976 (1). L’aéroport de Dorval ne semblait plus pouvoir suffire aux besoins aériens de la ville. C’est dans cet esprit que le gouvernement fédéral se lança dans un projet ambitieux : doter Montréal d’un second aéroport parmi les plus grands et modernes du monde. Montréal allait devenir la plaque tournante de l’aviation en Amérique du Nord, selon les prévisions des autorités de l’époque.

Pour ce faire, le 27 mars 1969, les propriétaires de près de 31 500 carreaux de terre furent expropriés, obligeant des milliers de résidents et fermiers de la rive nord à abandonner leur patrimoine dans des conditions pour le moins révoltantes. « Cet aéroport était quand même extraordinairement bien conçu, c’est un des plus modernes de l’époque », a reconnu Bernard Landry, ex-Premier ministre du Québec de 2001 à 2003. Jeune avocat, il défendait certains expropriés de Mirabel au début de l’année 1977. Le projet, réalisé en un temps record de 5 ans, coûtait plus de 500 millions de dollars.

Le 29 novembre 1975, le nouvel aéroport international de Mirabel entre en service. Il est doté d’une gigantesque zone opérationnelle de 5 426 carreaux de terre, entourée d’une zone tampon de 22 480 carreaux de terre. Il devient le plus vaste site aéroportuaire du monde en prenant en charge tous les vols internationaux, de même que certains vols de correspondance à destination des grands centres urbains du pays. Vingt-trois lignes aériennes internationales devaient y transférer leur activité intercontinentale.

Cependant, l’aéroport de Mirabel ne sera jamais achevé au-delà de la première phase de construction et tombera rapidement en déclin, jusqu’à sa fermeture complète en 2004.

L’aéroport qui était présenté comme un symbole de la fierté canadienne se révèlerait être un échec retentissant. Les liens autoroutiers et ferroviaires prévus ne seront pas construits et finalementl’ancien aéroport Dorval gardera les vols intérieurs et internationaux. Et Mirabel perdraen 1997 tous les vols sauf les vols charters internationaux, lesquels seront finalement transférés à Dorval en 2004. Aéroports de Montréal (ADM), une société à but non lucratif, qui gère les aéroports de Montréal et de Mirabel,a lancé le 1er mai 2014 un appel d'offres pour démolir le bâtiment de l'ancienne aérogare de Mirabel qui était pourtant promis à un si brillant avenir lors de son inauguration, en 1975. Selon ce qu'a déclaré le président-directeur général d'ADM, James Cherry, l'ancienne aérogare est dans un état de «désuétude totale [...] tant physique que fonctionnel. Son potentiel de récupération à des fins commerciales est quasi nul».

Le bâtiment était inoccupé depuis 2004, année durant laquelle toutes les activités de transport de passagers sont passées de Mirabel à l'aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau. Raison : Beaucoup de transporteurs ne voulaient plus le desservir.Alors que, de 2004 à 2014, ADM a dépensé plus de 30 millions de dollars pour l’entretenir. Des réparations majeures d'au moins 15 millions de dollars sont même nécessaires sans compter l’impérative décontamination de l’amiante.

M. Cherry n’a pas caché son ras-le-bol : « Je n'ai aucune raison d'investir 25 millions de dollars de plus si je n'ai pas de locataire.» Il affirme que des locataires potentiels pour l'aérogare ont été approchés, tels que Bombardier ou encore Pratt & Whitney. Mais tous, y compris un groupe français qui souhaitait transformer le bâtiment en parc aquatique, ont estimé que le processus s'avérerait trop compliqué et trop cher. La démolition de Mirabel a fait penser aux 12 000 expropriations auxquelles avait procédé les gouvernements québécois et canadien. Elles sont restées en mémoire comme autant d'événements douloureux, notamment pour les habitants du village de Sainte-Scholastique. En 2012, Denise Beaudoin, la députée péquiste de Mirabel d’alors, avait déclaré : « Je voudrais qu'on se souvienne du tort qui a été fait à ces gens. Je souhaiterais qu'on parle de l'épisode de Sainte-Scholastique dans les manuels scolaires. »

L’actuel maire de Mirabel, Jean Bouchard, a accueilli avec frustration l’annonce de la démolition de l’aéroport en se disant consterné : «C'est un non-sens de songer à démanteler ces installations qui ont été érigées au prix de tant de sacrifices humains lors de l'expropriation de centaines de familles (...).»
Ironie du sort, certains débris du reste de l’aéroport de Mirabel s’envolaient vers celui du Cap-Haïtien inauguré ce jeudi 2 octobre 2014. Il y a aujourd’hui un peu de Mirabel à l'aéroport international Hugo-Chavez puisque ADM avait fait un don de certains équipements qui se trouvaient à l'ancien terminal de Mirabel aux autorités haïtiennes. Près d’une centaine de comptoirs d'enregistrement, des balances mécaniques, quelque 2000 chariots à bagages et plus de 500 sièges, selon les précisions d’ADM.

Lors de l’inauguration de l’aéroport international Hugo Chavez, les autorités haïtiennes ont fait preuve du même enthousiasme que celles du Québecau lancement de l’aéroport de Mirabel. À en croire les officiels haïtiens, tous les espoirs de développement du grand Nord sont maintenant permis. Ils ont peut-être raison. La région en avait besoin et cela peut aider à son développement. Mais cela ne suffira pas.

Qui pis est, l’exemple de Mirabel démontre qu’un nouvel aéroport ne fait pas forcément augmenter le nombre de touristes et de visiteurs. Il y aura plutôt un effet de substitution : les résidents du grand Nord n’auront plus aucun intérêt à passer par Port-au-Prince sauf si le prix du billet y serait relativement très faible. Ils vont en profiter également pour fuir l’insécurité de Port-au-Prince qui doit s’attendre à une baisse de son affluence.

Le grand Sud, regroupant les départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand-Anse a besoin également d’un aéroport international. Pas plus. Et c’est là que les prétentions gouvernementales inquiètent le plus. En effet, en entrevue à Radio Méga le mercredi 1er octobre 2014, au micro de notre confrère Alex Saint-Surin, la ministre du Tourisme, Stéphanie B. Villedrouin, a annoncé pour novembre 2015 l’inauguration de l’aéroport international de l’Île-à-Vache ainsi que celle de l’aéroport Antoine Simon pour la même année. La ville des Cayes auraitdonc deux aéroports internationaux à quelques kilomètres d’intervalle, là où la grande ville de Montréal a échoué piteusement.

Comme pour Mirabel, le dédommagement demeure un problème majeur aux Cayes. La ministre du Tourisme a dit avoir remis quelques chèquesà une poignée de résidents de l’Île-à-Vache.Elle vantait également le projet de création d’une méga-station touristique à Côtes-de-Fer, avec encore une fois un aéroport international. Pas trop loin des deux aéroports du Sud. Ce projet a fait l’objet d’un article publié le 1er octobre 2014 dans le Wall Street Journal par le journaliste Craig Karmin.

« Cette nation de 10 millions de personnes a choisi un tronçon de 25 km de front de mer largement inoccupé sur la côte sud du pays, connue sous le nom de Côtes-de-Fer et sur laquelle le gouvernement haïtien compte construire un complexe touristique de luxe. Coût du projet : 350 millions de dollars en investissements privés pour développer la région, y compris les infrastructures comme les services publics, un système d’égouts et les routes », rapporte Craig Karmin (Traduction de Nancyroc.com). Un projet privé pour développer les services publics, le contraste est saisissant. Et ce n’est pas étonnant qu’il ne convainque pas beaucoup d’investisseurs étrangers.

«Le plan prévoit un nouvel aéroport international, un golf de 18 trous et 4 000 nouvelles chambres d’hôtel, ce qui serait une augmentation de 50% du total des chambres de l’île », précise le Wall Street Journal. Or, le taux d’occupation des chambres actuels ne dépasse pas 50 %. Quant à l’aéroport Toussaint Louverture, il ne reçoit que quelques vols par jour. Qu’en sera-t-il des nouveaux aéroports ? Que feront-ils pour être rentables ?Quel investisseur rationnel participera au financementd’un projet sans être certain de sa rentabilité financière?

(1) Extrait d’un document disponible surhttp://www.lefantomedemirabel.com/home/en-resume (2) Source: pressesquébécoises combinées

Rubrique: Economie
Auteur: Thomas Lalime | thomaslalime@yahoo.fr
Date: 14 Oct 2014
Liste complète des mémoires et travaux de recherche