Célébrons la journée nationale de la diasporade Ronald Estrade| JobPaw.com

Célébrons la journée nationale de la diaspora


Les Haïtiens de la diaspora ne sont pas satisfaits du traitement que leur imposent la constitution actuelle et les lois en vigueur actuellement en Haïti. Leurs représentants veulent une plus grande reconnaissance de leurs droits comme Haïtiens à part entière. Si pour plusieurs responsables du gouvernement Préval-Bellerive dont Mme Lassègue, un grand pas a été franchi avec l’institutionnalisation d’une Journée nationale pour la diaspora et que la mise sur pied de programmes spéciaux sur des thèmes d’intérêt pour la diaspora dans les médias peut conscientiser les haïtiens de la terre natale, il serait plus approprié d'avoir un cadre d’implication pour la diaspora. Par exemple, l'organisation d'un forum national pour faciliter l’implication des compatriotes de l’extérieur dans la vie nationale serait la bienvenue. Car comme plusieurs autres personnes de la diaspora, je voudrais m’impliquer dans le développement socio-économique de mon pays avec mon argent mais surtout avec mes expériences pour bâtir quelque chose de tangible.
Célébrons la journée nationale de la diaspora

On réalise souvent la valeur de quelque chose en la perdant ou en imaginant la vie sans elle. Je suis né en Haïti et j’ai laissé mon pays dans la vingtaine. Jusqu’à cette date, la notion de pays m’était indifférente et je ne trouvais aucun avantage à être haïtien ou pas. Avec l’éloignement, la nostalgie, l’utilisation du mot diaspora dans mon entourage, la notion de pays d’appartenance a pris pour moi une importance particulière. Comme plusieurs autres personnes, je suis parti de mon pays, pour améliorer mon sort, me perfectionner dans le but de retourner partager avec mes compatriotes les compétences acquises. Dans ma jeunesse, c’était un but tout à fait louable et plusieurs élèves avaient le même rêve. Mais entre le rêve et la réalité, le fossé est parfois trop grand. Si bien que je m’emporte souvent intérieurement en me voyant refuser la chance de changer quelque chose dans ce pays qui m’a vu naître. À l’occasion de la journée nationale de la diaspora, il serait plus approprié d'avoir un cadre pour faciliter l’implication de la diaspora en Haïti.

Depuis 1975, j’évolue dans la formation professionnelle. Il en va de soi qu'il m'est plus facile de m'impliquer dans ce secteur plutôt qu'un autre car c'est mon gagne-pain quotidien. Comme l'éducation est un vecteur de développement, je trouve tout à fait normal de faire la promotion de la formation professionnelle et technique dans mon pays natal. En effet, j’ai débuté par l’apprentissage d’un métier à l’École Nationale des Arts et Métiers (ENAM) communément appelé salésiens. Ces derniers sont arrivés en Haïti sous la présidence de Sténio Vincent. Comme plusieurs autres dirigeants avant lui, le président Vincent voulait donner une formation professionnelle à la jeunesse de son pays. En effet, La République d'Haïti a, depuis sa genèse en 1804, favorisé l'éclosion de la formation professionnelle et technique. En effet, dans l’État du Nord, le roi Christophe Henri I aimait l’ordre et, sous son administration, on appliqua une gestion très stricte des affaires de l’État. Il comprit l’importance du travail bien fait et, grâce à son aide, la ville se couvrit de monuments prestigieux et d’édifices publics telle la citadelle Laferrière. La paresse ne fut pas tolérée et il fit appel à des enseignants anglophones pour ses écoles.

«Le roi Henri Christophe mit en place dans son système éducatif des programmes de formation professionnelle pour les filles, et une école des arts et métiers destinée à accueillir les élèves sortants du primaire pour une formation qualifiante […] les écoles dites spéciales furent créées dans certaines villes du pays; la loi de septembre promulguée sous le président Nord Alexis ouvre l’école des filles « Élie Dubois » avec la mission de permettre aux jeunes filles d’acquérir des connaissances pratiques en arts ménagers. Une des susdites écoles spéciales devient l’école professionnelle J.B. Damier à Port-au-Prince ; […] à l’initiative de la Congrégation des Salésiens, l’ENAM à Port-au-Prince; (1930), Fondation Vincent au Cap Haïtien (1955) et CEDAM aux Cayes (1980). − 1970- 1990 : deux décennies caractérisées par un grand intérêt des pouvoirs en place pour la formation professionnelle» (Unesco, 2008, ch.2, alinéa 2.1).

Plus récemment, la décision d'encadrer plus étroitement la formation professionnelle est venue par l'adoption d'un texte de loi: le décret du 14 mars 1985. Le problème de la formation professionnelle est tributaire de la déchéance du système éducatif haïtien dans son ensemble. Le premier élément à considérer est le financement. L’État consacre moins de 10% du budget de l’éducation à la formation professionnelle et privilégie délibérément la formation classique générale au détriment de la formation professionnelle. « Ces pratiques budgétaires montrent une priorité accordée à la formation classique au détriment de la formation professionnelle et technique, destinée surtout aux classes populaires » (Joint, 2006, p.150). Or la formation professionnelle, pour garantir la santé économique d’un pays, doit avoir des locaux adaptés, des équipements appropriés et les réparer s’ils sont brisés ou en commander de plus récents, du matériel pédagogique adapté. Tout cela devrait permettre que les étudiants soient formés pour répondre aux besoins du marché du travail.

De 1960 à nos jours, plusieurs des écoles professionnelles publiques qui desservaient la capitale n’existent plus. En fermant ces écoles, l’État a diminué l’accès à la formation professionnelle: « La plupart des travailleurs (80%) ne répondent pas aux critères de sélection des programmes ou n’y ont pas accès en raison du manque de place dans les écoles professionnelles » (Cadre de Coopération Intérimaire, 2004, p.7). Les rares centres qui sont ouverts au public de la capitale, comme le Centre Professionnel Jean Baptiste Damier à la rue Montalais, le Centre d’Apprentissage Saint-Martin (CASM) à la ruelle Mayard, le Centre polyvalent de formation professionnelle de Carrefour et le Centre Pilote de formation professionnelle (CPFP) à Drouillard-Varreux, sont sous-équipés et manquent de matériaux pour les travaux pratiques. Au niveau des provinces, la situation est plus ou moins identique pour les CFP de Jérémie (EPJE) à Source Dommage, des Cayes (CFPC) à la rue Générale Marion, de Jacmel (EPJA) à la rue Henry Christophe, des Gonaïves (EPG) à la rue Paul Eugène Magloire, de Port-de-Paix (ENTPP) dans le Nord-ouest, aux deux centres du Cap-Haïtien: la Fondation Vincent et le Centre de formation professionnelle Cap dans le département du nord, à Don Bosco Technique (DBTEC) et le Centre Intégré de Formation Professionnelle de Fort Liberté (CIFP) à la rue Samson dans le département du Nord-est.

Cette situation me désole beaucoup et j'essaie par mes modestes moyens de changer la situation. Voyant ma détermination et la sincérité de mes intentions, la providence m'a favorisé et j'ai été choisi avec plusieurs autres experts canadiens pour encadrer la majorité des formateurs des écoles techniques reconnues par l’Institut National de Formation Professionnelle (INFP). À l'occasion de la première mission spéciale, j’ai eu la chance d’enseigner les formateurs haïtiens de la mécanique qui doivent former les futurs élèves du secteur de la mécanique d’entretien industriel. J’étais heureux de voir leur enthousiasme et leur désir d’apprendre. J’ai fait le maximum possible compte tenue de la situation environnante. Si la formation professionnelle et technique est un avantage, elle peut aussi devenir une source de frustration et de découragement. Pour enseigner adéquatement dans sa spécialité en formation professionnelle et technique, un enseignant ou un formateur a besoin du renouvellement de ses équipements techniques, d’un moyen d’avoir de la formation continue, d’un matériel didactique et pédagogique approprié etc. Mais comment évoluer sans avoir à sa portée ne serait-ce que le strict minimum. En tant que professionnel évoluant dans le secteur, durant la formation technique des formateurs spécialisés, j’ai fait de mon mieux pour faire profiter aux apprenants le maximum de mes compétences. Mais je suis limité par la nature de mon contrat d’expert.

Comme je porte plusieurs chapeaux en Haïti, j’ai voulu organiser discrètement un mentorat international pour supporter les formateurs via Internet à l’instar d’Academos pour les élèves du Québec. Mais sans le support des responsables de l’Institut, cela ne peut pas fonctionner. Un peu plus tard, j’ai contacté plusieurs responsables de l’INFP afin d’organiser avec mon Centre de Formation Professionnelle et la Fondation Vincent du Cap un jumelage qui permettrait à des étudiants québécois sous mon encadrement, de faire un stage en Haïti. Ce qui me permettrait de travailler gratuitement avec les élèves et remédier partiellement au manque de matériel pédagogique. Mais mes appels sont restés sans réponse.

Je suis persuadé que les responsables comprennent mon désir d’aider mais ils ne veulent pas prendre le risque d’autoriser une entreprise dont ils ne comprennent pas complètement les tenants et les aboutissants. Pour moi, c’est simple, depuis 2003, je participe à des échanges internationaux avec la France et la Belgique. Et mes élèves sont toujours heureux de découvrir un nouveau pays et de travailler gratuitement dans un cadre préparé par les professionnels du milieu. Dans le cas de la République d’Haïti, compte tenu de la faible quantité d’entreprise spécialisée dans les secteurs de l’électrotechnique, de la mécanique d’entretien et de fabrication. Je voulais m’impliquer dans la préparation des locaux de laboratoire dans la Fondation Vincent du Cap car ceux-ci constituent l’une des bases les plus importantes d’une formation de bonne qualité. Comme ce n’est pas possible, je vais me contenter de mon statut d’expert canadien.

Au niveau personnel et familial, le téléphone sonne régulièrement chez moi et à chaque fois c’est le même refrain. Comme bien d’autres, je contribue à la richesse des maisons de transfert d’argent. Il est un fait admis que l’aide internationale a baissé de 600 millions de dollars américains en 1995 à 200 millions en 2005. Pour y remédier, les transferts privés de la diaspora haïtienne sont passés de 600 millions en 1995 à un milliard en 2005 (Nations Unies, 2005). Toutefois, les Haïtiens de la diaspora ne sont pas satisfaits du traitement que leur imposent la constitution actuelle et les lois en vigueur actuellement en Haïti. Leurs représentants veulent une plus grande reconnaissance de leurs droits comme Haïtiens à part entière. Si les changements constitutionnels demandés ne sont pas pris en compte, une perte d’intérêt pour la situation de leur pays d’origine est envisageable. Or un tel désintéressement peut avoir de graves répercussions au niveau de l’économie nationale.

Dans une entrevue avec le journal La Presse de Montréal, le nouveau président d’Haïti, Michel Martelly veut attribuer un nouveau rôle à la diaspora.

«La diaspora haïtienne envoie plus de 1 milliard et demi par année à des proches restés au pays. Un apport considérable, mais mal dirigé et peu efficace […] La diaspora a un rôle à jouer. Elle doit revenir chez elle. Elle a eu peur de revenir à cause de l’insécurité. Le premier rôle serait d’être les premiers touristes, dont on a tellement besoin. Elle pourrait donner l’exemple. Elle pourrait aussi venir avec des projets solides qui puissent faire une différence. Il ne s’agit pas de payer l’écolage des petits ou d’envoyer 100 $ pour la mangeaille. Parce qu’à ce moment-là, on ne voit p«as les faits de cet apport. Je suggère que cette diaspora se constitue en force et que cela donne quelque chose de tangible» (Marissal, 2011).

Il faut souligner qu’il y a eu de grands efforts de la diaspora pour s’organiser. Nous avons eu entre autre l’implication de Samuel Pierre dans la création de GRAHN-Monde, le Groupe de réflexion et d'action pour une Haïti nouvelle qui a produit un colloque à l’École Polytechnique de Montréal et a publié des livres sur la synthèse des travaux de ce colloque. Il a eu l’émission «Parole d’Haïtien» de CPAM 1610 sur le dossier de la double nationalité pour permettre aux membres de la diaspora de retrouver leur droit et de pouvoir voter aux élections haïtiennes etc.

Finalement il eu l’effort du gouvernement Préval en fin de mandat de décréter via le Ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger (MHAVE), la date du 20 avril comme : « Journée Nationale de la Diaspora » (AlterPresse, 2011).

Si pour plusieurs responsables du gouvernement Préval-Bellerive dont Mme Lassègue, un grand pas a été franchi avec l’institutionnalisation d’une Journée nationale pour la diaspora (Ibid., 2011) et que la mise sur pied de programmes spéciaux sur des thèmes d’intérêt pour la diaspora dans les médias peut conscientiser les haïtiens de la terre natale, il serait à mon point de vue, plus approprié d'avoir un cadre d’implication pour la diaspora. Par exemple l’organisation d'un forum national pour faciliter l’implication des compatriotes de l’extérieur dans la vie nationale serait la bienvenue. Car comme plusieurs autres personnes de la diaspora, je voudrais m’impliquer dans le développement socio-économique de mon pays avec mon argent mais surtout avec mes expériences pour bâtir quelque chose de tangible.


En attendant mon prochain article, si vous voulez favoriser le développement économique de notre pays, vous pouvez également vous poser les questions suivantes :

 Comment faciliter un transfert technologique de la diaspora vers la mère patrie?

 Comment faire sentir aux haïtiens de la diaspora qu’ils peuvent faire du coaching avec les novices de leurs secteurs d’activité professionnel?

À la prochaine réflexion.



BIBLIOGRAPHIE

Academos (2011). Le cybermentorat, pour inspirer la relève.http://www.academos.qc.ca.

Alter Presse (2011). Communiqué du Ministère des Haïtiens Vivant à l’Étranger (MHAVE). Journal Alter Presse, édition du 1er avril 2011.

Cadre de Coopération Intérimaire. (2004). Groupe Thématique d'Éducation, Jeunesse et Sport. Port-au-Prince: CCI Haïti.

Joint, L. A. (2006). Système éducatif et inégalités sociales en Haïti-Le cas des écoles catholiques. Paris: L'Harmattan.


Marissal, V. (2011). Haïti entrevue avec le nouveau président. Journal La Presse, édition du lundi 18 avril 2011.


Nations Unies (2005). Situation économique et sociale d’Haïti en 2000. Port-au-Prince: Bibliothèque Nationale d’Haïti.


Unesco (2008). Rapport national de la République d'Haïti. Paris: Unesco et Commission nationale haïtienne. ch. 2, alinéa 2.1.





Rubrique: Divers
Auteur: Ronald Estrade | restrade@hotmail.com
Date: 20 Avril 2011
Liste complète des mémoires et travaux de recherche