CHOLERA ET VULNERABILITE HUMAINE EN HAITI: CHRONIQUE D'UN MAL SOCIALde wendy Rock| JobPaw.com

CHOLERA ET VULNERABILITE HUMAINE EN HAITI: CHRONIQUE D'UN MAL SOCIAL


On entend dire qu'Haiti n'a pas connu le vibrio cholerae depuis plus d'un siecle, mais depuis plus de deux siecles qu'est ce qui a ete fait pour pouvoir etre en mesure si en cas...Aujourd'hui le cholera est bien la, et quel est plan de redressement de la situation envisage par les autorites sanitaires du pays, sinon que des CTC majoritairement dirriges par des ONG? Alors que le chorela est beaucoup plus complexe que ce regard simpliste porte sur le phenomene en Haiti. Cet article propose quelques idees pouvant etayer ma position sur le sujet.
04/02/2011
CHOLERA ET VULNERABILITE HUMAINE EN HAITI : CHRONIQUE D’UN MAL SOCIAL

Il y a déjà quelques mois le cholera fait parler de lui en Haïti, après avoir semé une panique générale sur les esprits. Il est observé ces derniers jours, non sans rapport avec le silence des acteurs institutionnels, une baisse de la vigilance des habitants, comme si la bactérie n’existait plus dans la communauté. Et, chaque fois que l’imprudence va trop loin, il est constaté une flambée du nombre des personnes infectées par le cholera (c’est le cas de la petite rivière de l’Artibonite où nous sommes actuellement). De ce constat, j’ai jugé utile de partager avec vous cette réflexion, faisant l’objet d’un article déjà publié dans le bulletin INFO-EDUC de zanmi lasanté, juillet- novembre 2010, première édition, car, on ne peut ignorer la violence et la rapidité avec lesquelles la maladie s’est jetée sur la population haïtienne, d’une part, et la fragilité des citoyens Haïtiens du point de vue sanitaire et la faible capacité du système sanitaire haïtien de donner des réponses adéquates à ces genres de phénomène. Tandis que les débats qui ont eu lieu dans les medias depuis la journée du 14 novembre nous ont été très utiles au point de nous permettre de mieux comprendre la situation et d’enrichir notre réflexion sur le sujet.
Ceci dit, nous nous efforcerons, dans un premier temps, de souligner dans notre analyse quelques faits constituant les précédents traumatisants pour une population abandonnée à elle-même, dans un autre, essayer de voir le cholera pas seulement entant qu’une maladie « facile à traiter », comme il est certes d’un point de vue technique constaté, mais plutôt comme une épidémie complexe où se mêlent des problèmes de natures différentes, c’est-à-dire comme le résultat d’une société en mal à se décoller.
I- Une population traumatisée livrée à elle-même
Le peuple Haïtien vit pendant ces dix dernières années des moments extrêmement difficiles. Après la dure inondation de la ville des Gonaïves en 2004 par la tempête Jeanne, le passage des ouragans successif en 2008 (Hanna, Ike…), le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le passage du cyclone Thomas au début du mois de novembre, l’actualité est aujourd’hui dominée par l’épidémie de cholera (nous faisons abstraction expressément de la crise politique). Un autre événement de plus venant enfoncer le clou et accusant les faiblesses du système de la santé publique haïtien.
L’épidémie a débuté dans la matinée du mercredi 20 Octobre 2010, lorsque soudain un membre de l’équipe, dont nous faisons parti, a reçu un appel téléphonique depuis la ville de St Marc : quatre personnes sont mortes de déshydratation sévère (vomissements et diarrhée). Alors que personne ne savait encore la cause, mais on pouvait déjà supposer une possible implication d’eau contaminée par un agent pathogène.
Entant que Travailleur social, je me suis immédiatement rendu à St Marc, alors que je travaille à Petite rivière de l’Artibonite, pour constater, de mes propres yeux, ce qui pourrait bien se passer. Perplexe, en cours de route je rencontrais des ambulances, des camionnettes et des autocars transportant des personnes empilées infectées. J’avais alors conclu que le chaos annoncé n’était pas propre au centre ville de St marc, mais que les malades venaient tous des localités périphériques de la cette ville. Le même constat a été fait à Petite rivière : des morts et des personnes hospitalisées venues des zones avoisinantes. Cependant, la grande question que tout le monde se posait : Qu’est ce qui se passe exactement? Que faire ? Y a-t-il un quelconque rapport avec les évènements du 12 janvier ? A ces questions même les autorités sanitaires ne pouvaient répondre, place est alors laissée aux hommes de la rue qui font pleuvoir des réponses, réveillant les traumatismes vécus antérieurement lors des catastrophes du 12 janvier 2010.
- Le séisme du 12 janvier 2010 : un choc encore d’actualité
L’épidémie de cholera en Haïti s’est, me semble-t-il, rencontrée avec des sentiments enfuis dans le subconscient des Haïtiens après les événements dévastateurs du 12 janvier 2010. En l’espace de seulement 35 secondes, le séisme de 7.3 sur l’échelle de Richter avait emporté plus de 220.000 vies humaines, occasionné 300.000 blessés et «plus de 500.000 personnes ont quitté les zones sinistrées pour trouver refuge dans le reste du pays. » Les spécialistes s’étaient alors empressés à incriminer la faille d’Enriquillo. Etait-elle vraiment à la base de l’événement? Non. Il s’agissait plutôt de la « faille de Léogane » découverte quelques mois plus tard. Quant à Enriquillo, elle sommeille encore et pourrait faire sentir sa présence à n’importe quel moment.
Le séisme a révélé aux yeux du monde entier les failles d’un Etat central qui ne peut même pas se protéger, voire partir au secourt d’une population en danger. Au lendemain de l’événement, Marguerite Dorival, 45 ans, a parcouru sur ses jambes boiteuses, de Port-au-Prince à Cabaret, près de 30 km de route. Sauvée de justesse de ces catastrophes, elle n’a pas pu retenir son souffle pour dire si elle reviendrait un jour à Port-au-Prince, terre dévastée où sont ensevelis des milliers de frères et sœurs sous les décombres : « Le plus important pour moi, expliqua-t-elle, c'est que Dieu m'a donné une chance d'en sortir vivante", "maintenant, je suis avec ma famille. Je suis heureuse que nous allions bien. » Le choc est fortement palpable chez cette femme.
Marie D. Alceus, mère de la petite Katya emportée par le violent cyclone Jeanne en 2004 aux Gonaïves, ne savait quoi faire : « Vivre à Port-au-Prince est un problème. Aller aux Gonaïves est un autre problème. » Pire, 12 janvier vient d’emporter d’un cillement son fils de 26 ans et sa demi-sœur écrasés sous les décombres. Revenant à elle, et sans aucune alternative, elle ajouta: « Si j'avais pu, j'aurais quitté ce pays et serais allée ailleurs à l'heure qu'il est, mais je n'ai aucun moyen de le faire ».
Pour Marguerite et Marie, retourner vivre à la campagne n’était nullement un choix volontaire ni plus rationnel. Quelle fierté y a-t-il au fait de revenir habiter la localité qu’on avait fuie depuis des années les mains vides, sans rien à manger ni à boire ? C’est imaginer difficile l’acceptation de cette situation embarrassante qui les attend à la compagne. « Tout est concentré à Port-au-Prince », déclara Marguerite. « Tout ce dont vous avez besoin se trouve dans la capitale, […] mais je ne sais pas si (Port-au-Prince) redeviendra sûre ». On voit également avec quelle amertume le citoyen Haïtien doit vivre l’exclusion régionale et la concentration des biens du pays dans la métropole. C’est dire donc que le retour est imminent, une fois Port-au-au-Prince redevient « sûre ». Le cycle est donc en marche.
En réalité, beaucoup de ces paysans avaient fui leurs localités d’origine à cause d’autres types de catastrophes (réelles ou perçues) qui menaçaient leurs vies pour rejoindre Port-au-Prince – c’est le cas des Habitants des Gonaïves (2004) et de Petite rivière (2008) -, en quête d’une relative sécurité. Mais, quel est l’endroit en Haïti où l’on pourrait-on vivre une relative sécurité ? Pourtant, pour faciliter leur retour à la campagne, là où la pauvreté qu’ils avaient fuie les attend, le gouvernement avait mis à leur disposition du transport gratuit sans suivi d’aucune mesure d’accueil, en substance, pour encourager ces eternels migrants à se stabiliser dans un endroit déterminé.
Si dans la Capitale il y a le risque de séisme et d’autres risques sociaux et politiques, dans le haut et le bas artibonite il y a le risque que laisse planer le fleuve artibonite sur la vie de la population : si ce n’est le risque d’inondation, c’est de la contamination.
- le fleuve artibonite : une arme à double tranchant
La population artibonitienne est l’une des plus ignorées en termes d’accès aux services de base sociaux, tandis que l’une des plus grandes menaces pour l’existence des habitants du département reste le fleuve artibonite. Celui-ci, coulant d’un débit de 100cm3 par seconde, traverse une très grande partie du territoire haïtien, de l’Artibonite au Plateau Central jusqu’à la République dominicaine. A des degrés près, il est comparable au Nil en Égypte ou la rivière du Jourdain en Israël, e ce qu’il fait partie intégrante de l’existence quotidienne des individus. Il investi, dans une sorte de mariage tacite, la dimension culturelle, sociale et économique des Haïtiens. Sa fonction est plurielle en ce qu’il permet de répondre à des besoins pluriels : pour les paysans, ce n’est point un simple cours d’eau.
Une semaine à peine de la venue du cholera dans l’Artibonite, alors que des dizaines de personnes en sont déjà mortes, je prenais place dans un bus de transport en commun, revenant de la capitale en direction de Petite rivière. Soudain un groupe de personnes intiment l’ordre au conducteur de s’arrêter à « pont sondé ». Le chauffeur obéit. Le groupe alors descend du bus avec un malade qui ne pouvait pas se tenir sur ses jambes. On va l’immerger sous l’eau contaminée par le vibrio cholerae dans le cadre d’un rituel de guérison de maladie, dit-on, pour ensuite y abandonner ses vêtements, le savon et tout ce qui participait au traitement du malade. Moi, alors conscient du risque qu’ils encouraient, les rappelai la présence du vibrio cholerae dans le fleuve, à mon grand étonnement, il’ m’a été immédiatement démenti cette information.
Cet exemple est pour montrer à quel point le rapport de proximité des paysans avec le fleuve est devenu de nos jours complexe et représente un risque réel à leur existence. Ce fleuve est connu pour son implication dans plusieurs évènements catastrophiques frappant directement la communauté. En 2008, lors du passage des tempêtes Ike et Hanna, il a été à la base de la destruction des biens des paysans (jardins, maisons, bétails, etc.). Deux ans après, cet octobre 2010, personne n’imaginait qu’il serait le vecteur du vibrio cholerae, qui opérait jadis dans d’autres continents dans le monde.
L’irruption brutale du cholera en Haïti a provoqué un grand vent de paniques sur le département de l’Artibonite d’abord, et tout le pays ensuite. Tout le monde était sous le choc. Joël Placide, le directeur adjoint d’un salon funèbre, ne cache pas ses émotions: «La situation dégénère. Les gens sont laissés à eux-mêmes. Nous sommes très stressés. On a eu le séisme, l'ouragan et maintenant le choléra. La population est traumatisée. »
Une population traumatisée, des autorités de la puissance publique presque totalement absentes, voilà en quoi se résumait la situation au début de l’épidémie. Frantz Lebrun, un journaliste aux Gonaïves a confié l’ambiance qui régnait dans la rue: «Ils [les représentants de la mairie des Gonaïves] ne sont que deux et le maire s'occupe des cadavres jetés dans la rue. La directrice de la santé publique ne répond même pas à son téléphone. » Les autorités de la santé publique ont été, semble-t-il, les derniers acteurs sanitaires à se montrer en public, alors que les candidats en course pour le fauteuil présidentiel étaient déjà dans tous les coins et recoins du pays pour exploiter l’occasion.
II- Le cholera: une maladie où se mêlent problèmes sociaux, médicosociaux et environnementaux
Quelques jours après la propagation de l’épidémie qui a déjà fait plus d’une centaine de morts, le ministère de la santé publique, grâce au support de l’équipe de CDC, a pu dévoiler l’agent responsable du phénomène : le fameux vibrio cholerae, absent du territoire haïtien depuis plus d’un siècle.
- Une maladie sociale
Dans une société bien organisée où l’on fait cas du vécu de la population, le cholera serait juste une maladie comme toutes les autres. Mais dans un pays comme Haïti, il faut la considérer comme une maladie sociale. Nous entendons par maladie sociale une pathologie affectant beaucoup plus les personnes vulnérables que les personnes des classes aisées. Le cholera, infection diarrhéique sévère, pouvant tuer en seulement quelques heures, en est une. Ses impacts sur la société sont plus ou moins intenses en fonction d’une mauvaise gestion de l’environnement (eaux polluée et non salubres, manque d’assainissements, etc.). Il demeure, au niveau mondial, une des plus grandes menaces pour la santé publique et l’un des indicateurs révélant le faible développement social du pays. Plus il y a de pauvres vivant dans l’insalubrité dans la société, plus facilement il s’y installe en devenant endémique.
Il a été découvert en Haïti, à Grandes salines, commune pauvre située entre la ville de St Marc et les Gonaïves, dans la nuit du 19 au 20 octobre 2010. Bien que certains confondent cette zone avec Petite rivière, comme pour OUIMET: «Tout a commencé à Petite Rivière, situé à mi-chemin entre Port-au-Prince et les Gonaïves. Un village où coule un fleuve, l'Artibonite. Le fleuve fait partie de la vie de tous les jours: les gens s'y baignent et y lavent leur linge. » Effectivement, il représente pour les habitants la seule ressource en eau à usage quotidien. C’est-à-dire que ces résidents n’ont pas accès à l’ « or bleu », l’eau potable définie par l’OMS comme étant « une eau claire, sans odeur, agréable au gout et hygiéniquement saine […]. Elle ne doit être ni polluée ni interrompue de l’usine de traitement à la distribution. »
- Les personnes vulnérables : principales victimes
Du 20 octobre, date de la découverte du premier décès du cholera, au 19 novembre, le MSPP a recensé 917 cas de décès et d’ici le 29 décembre, le nombre est passé à 3481, soit 22 cas par jour . On a récencé 2308 décès institutionnels et 1173 décès communautaires, la fréquence de décès journaliers est respectivement 3 et 19. La quantité de jeunes personnes mortes , 5 ans et +, a atteint le chiffre de 3271 sur 3481. Il convient ici de souligner le pourcentage de décès institutionnels est 66% supérieur à celui des décès communautaires. Les raisons de ces décès sont d’ordres multiples : dans certains cas, il s’agit de la gravité (phase finale) du cas arrivant au CTC (centre de traitement cholera) ; parfois, il s’agit d’insuffisantes techniques ou structurelles (nombre limité de personnel, manque de compétence du personnel, négligence ou manque de moyen disponible) ; dans d’autres cas, il s’agit tout simplement du manque d’adéquation de la méthode de traitement. En réalité, le cholera est facile de traitement, il suffit de prendre les mesures à temps. Car, la maladie est une véritable course contre la monte. Mais, souvent, des personnes sous traitement meurent trois jours après. Il convient alors de se demander s’il n’a pas eu croisement entre des pathologies de causes diverses. On sait bien que la population haïtienne est très vulnérable du point de vue sanitaire. Les gens résistent souvent avec la maladie et se font consulter lorsque cela devient vraiment grave. Alors l’infection au cholera survenue brusquement peut accélérer une autre infection ou pathologie en sommeil chez l’individu. Il faudrait, des lors, pour palier au risque de croisement des maladies chez celui-ci, effectuer des testes ou une analyse différentielle au laboratoire (ce qui n’est pas fait) et non plus seulement se concentrer sur les seuls symptômes du cholera
Les enfants, les femmes enceintes comme les autres adultes sont largement touchés et meurent en seulement quelques heures. D’ailleurs, ceux dont l’état de santé ou physique était précaire avant l’infection n’attendent pas les deux heures pour succomber : nous voulons parler des enfants malnutris, des femmes et des vieillards vivant une précarité extrême. Anne Koudiacoff cependant reconnait la complexité de la situation : «Les Haïtiens sont très vulnérables. Ils sont souvent sous-alimentés, affaiblis, plusieurs sont séropositifs. Et ils ont vécu des traumatismes: le tremblement de terre et l'ouragan Tomas.» On connait à quel point la population haïtienne est vulnerable, alors les autorités sanitaires doivent prendre des mesures pour limiter les dégâts.
Conclusion
Les Haïtiens n’étaient pas habitués à l’épidémie de cholera, certes, mais cela ne peut pas justifier l’indifférence avec laquelle la population est traitée. L’environnement, du moins la nature nous a déjà avertis en maintes fois de notre vulnérabilité et nous signale du choix inadapté du mode de société. L’analyse développée dans cet article a tenté de soulever la complexité de l’épidémie du cholera en Haïti et en même temps, montrer l’importance d’une prise en compte de la dimension sociale, culturelle et psychologique de l’épidémie, ses liens avec d’autres événements catastrophiques qui ont précédé. L’épidémie a été au début comparée avec le 12 janvier dernier et par certains, qualifiée de plus grave. Ce qui explique l’intensité du traumatisme ressenti. Il est nécessaire de reconsidérer cette complexité et traiter le cholera pour ce qu’il est en Haïti : un problème à la fois de santé publique et société. C’est-à-dire qu’il nous faudra étendre notre vision de la maladie en envisageant des mesures plus larges pour sauver plus de vies possible. Cela passera par la constitution des équipes d’intervention pluridisciplinaires et multisectorielles, impliquant la participation des collectivités et des communautés. La supériorité du nombre de décès institutionnels au nombre de décès communautaires témoigne l’impuissance de la réponse institutionnelle à l’épidémie. Car, s’il est reconnu que la prévention du cholera passe souvent, du moins toujours par l’installation d’assainissements pour endiguer les sources de contamination, il est tout aussi important d’envisager des mesures sociales pour réduire la vulnérabilité des gens.

Wendy ROCK, Travailleur Social, Ethicien
Spécialité Politiques Publiques et Science Politique,
Tel : 37-64-13-97



Rubrique: Divers
Auteur: wendy Rock | sweetrocky2004@yahoo.fr
Date: 3 Fév 2011
Liste complète des mémoires et travaux de recherche