Economie solidairede Pierre Joseph Harold| JobPaw.com

Economie solidaire


L’économie solidaire, une pratique pour le démarrage de l’économie haïtienne axée sur la croissance et le développement
Par Joseph Harold Pierre, M.A.
Avec la parution de l’œuvre maitresse de Keynes, Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, deux courants de pensée ont dominé l’économie: le keynésianisme qui, reconnaissant les limites et faiblesses du marché, a préconisé l’intervention de l’Etat, et le monétarisme de Friedman qui a, par contre, mis l’accent sur l’inefficience de l’Etat et les vertus du marché axé sur la logique de la main invisible de Smith. Ainsi donc, alors que le premier opte pour la consolidation du secteur public comme agent régulateur, le second n’y voit qu’un obstacle à la dynamique économique. Ni l’un ni l’autre n’a eu toute la raison. Depuis la Grande Dépression de 1929, la réalité économique a montré les faiblesses de l’une ou l’autre théorie. Si la crise de dettes des années 80 en Amérique Latine peut être inculpée à l’Etat (explication monétariste), celle de 2008 résulte de son absence comme agent régulateur (explication keynésienne), bien que l’échec des méthodes employées pour la résoudre prouve que le keynésianisme à lui seul ne peut plus servir de grille d’intelligibilité à la compréhension de la logique économique. Face à l’incapacité de l’Etat à satisfaire les besoins publics de la société et la dichotomie existante entre les intérêts économiques du secteur marchand et ceux de la société en général, la nécessité d’un nouveau secteur se fait sentir. D’où l’émergence de l’économie sociale et solidaire. En fait, qu’entend-on par économie solidaire? Quelles sont ses théories et pratiques?
L'économie solidaire peut être définie comme la production de biens et services par des sociétés comme les coopératives, les associations et les fondations, dont l'éthique se traduit par les principes suivants: 1) servir le corps associatif plutôt que de rechercher des bénéfices individuels, 2) autonomie de gestion, 3) gestion démocratique et participative, 4) priorité à la consommation des produits locaux. Il convient de noter que, contrairement à ce que l’on pense d’habitude, l'économie solidaire ne se distingue pas de l’économie de marché par sa non-rentabilité, puisqu’elles sont toutes deux lucratives. Elle se différencient en ce que la première vise non seulement à la consolidation du patrimoine collectif des membres d’une quelconque société économique, mais aussi à la construction de la société par l'aide mutuelle et par la participation citoyenne, alors que la seconde est réduite à la poursuite des gains individuels.
Les solutions (taxe sur les transactions financières, augmentation de l'actif des banques dans leurs coffres, réduire les déficits publics des pays industrialisés, etc.) proposées en vue de démotiver toute tendance à risque des opérateurs susceptible de produire une crise aussi catastrophique que celle de 2008, n’ont pas visé à résoudre les problèmes sociaux, écologiques et autres pour le bien-être de l'humanité, mais à sauvegarder les intérêts du “capitalisme sauvage”. Les idées de l’«l'équité au sens de Pareto», «l’égalité des opportunités» de Sen, la « justice rawlsienne » ne peuvent se matérialiser à partir de la logique des intérêts économiques du secteur privé et les intérêts, avant tout, politiques, du secteur public. D'où la nécessité d’une consolidation de l'économie solidaire comme le tiers secteur ou secteur complétant les deux secteurs traditionnels.
Sans sous-estimer la perte incalculable et les conséquences durables de la crise de 2008, la crise la plus dramatique du monde actuel est le réchauffement climatique. Bien que cette situation soit imputée, en grande partie, au secteur privé, compte tenu de l’objectif dudit secteur, on ne peut s'attendre à une solution «privée» à la catastrophe. En ce qui concerne le secteur public, le Sommet sur le Réchauffement Climatique (Copenhague, décembre 2009) montre clairement que les États, dans ce cas, les pays industrialisés, n’ont pas compté parmi leurs priorités la résolution du problème, parce que leurs intérêts hégémoniques atrophient et phagocytent toute structure facilitatrice d’un dialogue axé sur le pluralisme démocratique. Face à ces conflits, l'économie solidaire, eu égard à ce qu’elle se fonde sur le “social” et collectif, se présente comme une alternative. Bien qu’incapable de remédier à ce grand mal, elle est tout au moins l'expression d'une volonté de réduire considérablement ses effets. Le retour à une agriculture de subsistance parallèlement à l'agriculture à grande échelle du secteur privé en est une preuve, puisque celle-là utilise de moins en moins les engrais nocifs et en conséquence contribue très peu au déséquilibre climatique. Par contre, l'agriculture pratiquée bien avant la révolution informatique, à part ses impacts négatifs sur l’environnement, a considérablement réduit les emplois dans le secteur.
En Amérique Latine, l’économie solidaire a eu un grand essor grâce aux efforts de quelques secteurs des sociétés civiles. Compte tenu de ses principes démocratiques, le sous-continent en a beaucoup plus besoin que l'Europe et les États-Unis. En fait, l'Amérique latine, en dépit de ses ressources naturelles à la différence d’autres coins du globe, est la plus inégale du monde. D'où l'expression de “pauvreté paradoxale”. Le coefficient de Gini, mesure de l’inégalité des revenus variant de 0 à 1, obtient en 2009 une moyenne de 0,522 pour la région, avec le Brésil à sa tête obtenant le niveau de 0,590, la valeur la plus élevée dans le monde. Les indicateurs sur la démocratie, la participation citoyenne, etc. publiés par les agences internationales ont toujours donné des résultats non moins décevants et alarmants. Par conséquent, l'économie solidaire ne peut être un supplément des secteurs public et privé, comme il est en Europe et aux Etats-Unis, mais l’élément pilier et défenseur par excellence du bien commun. Dans le cas d’Haïti, tant que l’économie solidaire comme arme de la société civile pour contrebalancer les structures monopolistiques du secteur privé et les politicailleries du secteur public, la réduction de la pauvreté, le démarrage économique accompagné de la création d’emplois, la démocratie, ne seront que des idées sans aucune possibilité de se matérialiser.
En somme, la vision de l’économie solidaire est l'interconnexion des trois secteurs de l'économie (ou quatre, si l'on tient compte de l'importance du secteur informel dans les pays en voie de développement) et non la supplantation des uns par les autres. Il s'agit d'une économie avec-marché et non de-marché, une économie réglementée afin de réduire les défaillances du marché et non planifiée suivant le modèle communiste dont les conséquences désastreuses concourent avec celles de l’économie marchande. C’est une économie dans laquelle la version solidaire comme voix et expression de la société civile ait sa participation, sans aucune prétention de substitution de l’Etat. Disons enfin que l'économie solidaire se fonde sur le sens étymologique de la notion de l'économie (oikos = foyer, nomos = règle) qui s’entend comme le fait de mettre de l’ordre dans un foyer. Ceci ne peut, en aucun cas, se réduire au pourvoi des biens économiques ou matériels (nourriture, vêtements, etc.) nécessaires à la survie. Cet ordre doit prendre en compte la formation sociale et morale pour savoir comment vivre en société, la formation environnementale pour prendre soin du milieu où l’on vit, etc. On n’a qu’à remplacer « foyer » par « monde », et tout le reste est valable pour la vie dans l’univers. L'économie solidaire est implicitement porteuse de l’idée que la vie ne peut se réduire à sa dimension économique, mais qu’elle est plutôt multidimensionnelle.

Par ailleurs, il est à souligner que je n’ai pas pris en compte la logique du marché au cours de cette petite réflexion ; comme on comprendra, tel n’a pas été l’objectif. Par contre, cela comporte des risques pour le fonctionnement de tout type d’économie. Le plus grand est ce qu’on appelle, en jargon économique, « risque moral ». Ce dernier explique le changement observé chez un individu du fait qu’il n’est pas exposé aux conséquences de ses actions. Dans le cas de l'économie solidaire, un membre d'une association peut se révéler inconséquent face à ses actions et ses responsabilités, puisqu’il ne sera pas la seule victime des répercussions négatives de son comportement. Cette remarque n’infirme pas la base de l’économie solidaire, sinon qu’elle met en garde contre toute ingénuité et irréalisme capables de la rendre inefficace.

Joseph Harold Pierre, M.A., économiste et philosophe
Consultant économique à Grant Thorton, Ltd.
Prof. à la Pontificia Universidad Católica Madre y Maestra, République Dominicaine
desharolden @yahoo.fr


Rubrique: Economie
Auteur: Pierre Joseph Harold | desharolden@yahoo.fr
Date: 14 Aout 2010
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