L’effet d’éviction, un fléau « éconophage » à éradiquer du système financier haïtiende John Earl Etzer Legros| JobPaw.com

L’effet d’éviction, un fléau « éconophage » à éradiquer du système financier haïtien


Depuis des années, les indicateurs macroéconomiques du pays ne cessent d’évoluer négativement. Les politiques économiques et financières prises par les dirigeants ne suffisent pas pour améliorer les conditions de vie de la population haïtienne. Les rapports qui considèrent les indices de développement humain comme base d’analyse, nous classent toujours au bas de l’échelle. L’inflation, déterminée en fonction des indices des prix à la consommation, qui est à deux chiffres depuis août 2015, est passée, en glissement annuel, de 3.4% en décembre 2013 à 15.8% en juin 2017 sachant qu’il y a eu, dans l’intervalle, une légère variation à la baisse de ce taux après avoir atteint un pic de 15.2% en avril 2016 pour reprendre la pente ascendante à partir d’août de l’année dernière. Depuis 2014, le produit intérieur brut (PIB) affiche une tendance baissière contrairement à la population qui croît annuellement. Cependant, les dépenses courantes de l’Etat évoluent à la hausse d’année en année et en trop grande proportion par rapport aux dépenses d’investissement.
Ce tableau alarmant de la situation financière du pays dénote un grand malaise au niveau du système financier haïtien. Cela résulte principalement d’une mauvaise répartition des richesses, d’une gestion inadéquate du patrimoine national et le plus souvent des allocations inappropriées et inopportunes des ressources. En analysant les différents budgets des années antérieures, on constate une trop grande disparité entre les dépenses de fonctionnement et celles affectées aux investissements. Lorsque cet état de fait se produit, il en découle un phénomène économique dénommé « effet d’éviction » qui conduit à une dégradation en spirale de l’économie.
L’effet d’éviction est défini comme un phénomène qui est déterminé par le poids des activités du secteur public qui évincent celles du secteur privé. Cela résulte du fait que les ressources domestiques ne suffisent pas pour couvrir les dépenses publiques. Lorsque le solde budgétaire public accuse un déficit, celui-ci est, en général, financé par des dettes internes et/ou externes. Ce recours à l’endettement des finances publiques provoque un déplacement, vers le secteur public, des ressources d’épargne qui devraient être disponibles au profit des autres agents économiques qui nécessiteraient des fonds pour entreprendre des activités d‘investissement soit pour améliorer leurs productions soit pour créer de nouvelles entreprises ce qui générerait de la valeur ajoutée et donc favoriserait la croissance dans l’économie. L’une des conséquences de l’effet d’éviction est l’augmentation du taux d’intérêt étant donné qu’il y aura un manque de capitaux disponibles sur le marché financier. La demande sera alors supérieure par rapport à l’offre. Les éventuels investisseurs sont moins enclins à recourir aux crédits lorsque le taux d’intérêt augmente.
Le rôle principal des responsables qui interviennent dans les finances publiques consiste à favoriser la croissance économique. La politique financière est présentée dans les lois de finances. Durant les cinq dernières années, les recettes totales du pays ont augmenté de 56%, entre temps, les dépenses courantes ont augmenté de 87% tandis que les dépenses d’investissement ont été réduites de 52% pour la même période. Dans l’intervalle, le déficit public a augmenté de 45%. Parallèlement, les dépenses liées aux salaires et traitements ont augmenté de 71% et ce poste de dépenses garde toujours sa tendance haussière d’année en année depuis 2010. Et l’on sait que dans les dépenses totales, la masse salariale absorbe une grande part des fonds disponibles.
Le fait que les dépenses d’investissements aient été réduites considérablement, comparativement aux dépenses de fonctionnement qui augmentent continuellement, demeure la principale cause de la faible croissance économique du pays. Lorsque l’Etat, l’agent le plus important du système économique, réduit son niveau d’investissement, cela crée un trou noir dans l’économie vu qu’il ne participe pas assez à la création de richesse. Et en même temps, les recettes domestiques ont augmenté. Cela indique que les ménages et les entreprises ont déboursé plus de leurs portefeuilles pour répondre à leurs obligations fiscales envers l’Etat alors que les institutions financières n’ont pas suffisamment de fonds disponibles pour octroyer des crédits. On sait que le crédit est un facteur déterminant pour la création de la monnaie.
Ce n’est pas par fatalité que le produit intérieur brut (PIB) est passé de USD8,776,000,000.00 en 2014 à USD 8,023,000,000.00 en 2016. C’est la résultante d’une mauvaise politique économique. Les dépenses d’investissement ont été réduites de 45% de 2013 à 2014, de 16% de 2014 à 2015 et de 5.9% de 2015 à 2016. Et le déficit public a augmenté de 100% de 2015 à 2016.
En convergeant nos horizons sur le projet de lois de finances 2017-2018, on constate que la barre a été fixée trop haut pour les prévisions de recettes qui dépassent de loin les recettes réelles soit de 41%. Avec un tel multiplicateur de budget, les prévisions paraissent surréalistes ou révèlent encore l’intensification de l’étranglement fiscal des ménages et des entreprises qui s’étouffent déjà face au poids des leurs dépenses générales de fonctionnement et fiscales. Les taux de croissance annuelle des recettes courantes du pays étaient, en général, inferieurs à 10% sauf après 2015, où l’on a constaté une augmentation de 21% et de 15% en 2016. Cela est dû d’une part, à l’augmentation de certaines taxes en 2015, d’autre part, à la dépréciation accélérée de la gourde par rapport au dollar vu que les recettes douanières sont déterminées en fonction de la valeur CIF des factures d’importation généralement en dollars. Et pour conséquence directe, on a une inflation à deux chiffres dès le début du deuxième trimestre de 2015.
Pour éradiquer l’effet d’éviction qui est un fléau que je classifie, par un néologisme, « d’éconophage » car c’est un phénomène qui ronge l’économie, des mesures financières et fiscales devraient être adoptées pour favoriser la relance économique. Parmi ces dispositions, on peut citer de manière non exhaustive :
• Un dumping fiscal ou une fiscalité légère pour attirer de nouvelles entreprises et des allégements fiscaux devraient être pratiquées pour les entreprises existantes.
• Faire une gestion saine des deniers publics en allouant des fonds uniquement pour les dépenses utiles au bon fonctionnement des institutions étatiques.
• Rendre fixes pour au moins deux ans les dépenses de fonctionnement afin d’augmenter les fonds alloués aux investissements.
Pour réduire le déficit public, l’Etat doit augmenter l’assiette fiscale et réduire ses dépenses. L’augmentation de l’assiette fiscale n’implique pas automatiquement la hausse des taux d’imposition ou de nouvelles taxes. Cet objectif peut être également atteint, d’une part, en créant un cadre favorable à l’investissement, plus il y aura de nouvelles entreprises, plus les recettes fiscales augmenteront, et d’autre part, en identifiant les nouveaux contribuables et en renforçant la lutte contre la contrebande. Ces mesures susmentionnées doivent rentrer dans un cadre global de politique de relance afin de favoriser une croissance considérable du PIB qui devra nécessairement atteindre un taux de croissance à deux chiffres, telle est la condition sine qua non pour sortir le peuple haïtien du seuil de pauvreté. Au-delà de ces mesures, les dirigeants devront également adopter une attitude caractérisée par un esprit de sacrifice, une détermination politique et une optimisation des ressources afin de résoudre les problèmes économiques du pays.

John Earl Etzer LEGROS,
Expert-comptable, CPAH
Master II en gestion financière
Finissant en génie civil earl013@yahoo.fr
Rubrique: Economie
Auteur: John Earl Etzer Legros | earl013@yahoo.fr
Date: 6 Mars 2018
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