Etat de l'Habitat à « Cité Plus »: entre Croissance Urbaine et Risques Socio-sanitairesde Berlony JULES| JobPaw.com

Etat de l'Habitat à « Cité Plus »: entre Croissance Urbaine et Risques Socio-sanitaires


Le processus d’urbanisation est l’un des phénomènes marquants durant ces dernières années en Haïti. Contrairement à certains pays occidentaux, il n’est pas la résultante immédiate de l’industrialisation ; mais lié au contexte d’ajustement structurel des années 80-90 ayant provoqué in extenso la centralisation des activités économiques dans les centres urbains et particulièrement dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.

Cette politique basée sur les importations agro-alimentaires et la main d’œuvre à bon marché au détriment de la production nationale a forcé les paysans à quitter le milieu rural pour déferler massivement en milieu urbain (Davis : 2005,13). Le déséquilibre entre le flux migratoire et les services sociaux disponibles ont provoqué une occupation incontrôlée de l’espace dans les quartiers urbains, lesquels ne cessent de faire face à un accroissement démographique vertigineux (Dorvilier : 2009,15). La bidonvilisation, marquée par une forte croissance urbaine, semble menacer voire aggraver les conditions socio-sanitaires à « Cité Plus ».

Mots cles: habitat, croissance urbaine, bidonvilisation, urbanisation
Délimitation physique et description architecturale de « Village Plus »
Cité Plus fait partie de l’un des quartiers périphériques de la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Situé sur la route du bicentenaire plus précisément à boulevard Harry Truman, route nationale #2, il partage le long du bord de la mer avec d’autres quartiers. C’est un quartier précaire qui se trouve au milieu de deux ravins connus sous le nom de bwatchèn . Il est délimité au nord par Village de Dieu, au sud par Cité de l’éternel, à l’est par la mer et à l’ouest de Boulevard Jean Jacques Dessalines. Le village est divisé en quatre grandes ruelles que l’on appelle respectivement : première ruelle plus, deuxième ruelle plus, troisième ruelle plus et quatrième ruelle plus.
Comme dans tous bidonvilles, le type d’habitat est groupé. Les maisons qui se donnent sur les rues principales sont en béton ; les autres, la majorité en tôle. Les espaces de circulation sont très exigus, car les maisons sont construites sur le long de la rue ne respectant pas les normes de base en matière de construction, donc anarchique avec une promiscuité déplorable. Les maisons qui se donnent sur la rue sont en grande partie de un à deux étages, mais constituées d’une pléthore de locataires sans arrière-cours. Sur chaque trois maisons, il existe au moins une qui ne comporte pas de cuisine et de douche ; les chambres de chaque locataire assurent en ce sens de multiples fonctions, c’est-à-dire qu’ils servent à la fois d’espace pour dormir, manger, cuisiner et baigner en même temps.
Dans les maisons qui se situent près des ravins, la situation semble plus dégradante. Elles ont toutes les mêmes caractéristiques, c’est-à-dire ne dotant d’aucunes infrastructures de base. Elles sont très basses et organisées en taudis d’une chambre construites avec des tôles. Comme elles sont près des deux ravins qui déversent dans la mer, ces dernières restent les principaux centres de vidanges des excréments et des déchets de toutes sortes des habitants.

La configuration spatiale du Cité : dimensions et indicateurs de la vulnérabilité des conditions d’habitats
Facteurs socio-économique et démographique
Les paysans n’ont pas envahi l’espace urbain par hasard, mais au frais d’une dynamique globale fortement liée à la concentration massive des activités économiques dans les centres urbains plus particulièrement dans la zone métropolitaine. Cette situation est due en grande partie à la tendance des pays du tiers monde et particulièrement Haïti de privilégier l’essor urbain dans leurs politiques de développement national en investissant peu dans l’agriculture qui fait pourtant vivre plus de la moitié de la population(Granotier : 1980,23).
En effet, l’explosion démographique que l’on observe à Cité plus est l’une des facettes liées à l’exploitation de la campagne par la ville. Bon nombre d’habitants qui habitent dans ce quartier ont été tous soient des paysans sans terres ou de petits agriculteurs ruinés, ne trouvant pas de travail dans leur village, sont obligés d’envisager la migration. Leur motivation étant toujours d’ordre économique. Les bidonvilles particulièrement celui de Cité Plus reste un centre d’accueil pour les migrants de petites bourses à la recherche d’un espace pour se loger. Compte tenu de la précarité des conditions socio-économiques à la campagne, chaque année les familles intégrant déjà le quartier se renforce davantage.
Comme corollaire, une seule chambre abrite quatre à cinq personnes au minimum. Dans le rapport établi entre l’environnement physique et la santé en Haïti, les auteurs soulignent l’impact de cette conurbation urbaine sur la santé des habitants vivant dans des taudis (Quisqueya:2000,10). Les risques d’épidémies de choléra, de malaria et de grippe sont très fréquents dans la communauté, car il existe une forte concentration urbaine. De plus, l’accroissement naturel bat son plein à toutes les dimensions. En plus de la reproduction sans contrôle au niveau des adultes, la grossesse précoce est aussi l’un des facteurs clés de l’explosion urbaine. Donc les facteurs socio-économiques et démographique sont déterminants dans la configuration du cadre spatial et questionnent l’aménagement du territoire face à la croissance urbaine.
Problème d’aménagement du quartier et pression démographique
L’affaiblissement observé dans la gestion spatiale rend le quartier village plus très vulnérable à certains risques naturels et sociaux. Cela s’explique par l’inondation des espaces périphériques des ravins à chaque averse de pluie ; des vagues de chaleurs subies par la population en raison de la promiscuité ; des détritus accumulés chaque jours sur les trottoirs et dans les égouts qui génèrent des moustiques de toutes sortes aux risques de diverses maladies qui ont des conséquences néfastes pour la santé des habitants.
Comme l’a souligné Ali et Prévil (2010 : 228), l’absence de contrôle et de maitrise sur l’évolution quantitative et qualitative de la population reste l’un des obstacles majeurs que confronte le pays. Port-au-Prince, capitale de la république d’Haïti, a été construite pour une population de 300.000 habitants, environs 3 millions y vivent actuellement. Cité plus, compte tenu de la prolifération des taudis parait l’un des quartiers où la pression démographique bat son plein. Toutefois cette dynamique de croissance démographique reste en inadéquation aux services sociaux disponible. La population semble être abandonnée par l’Etat central, les collectivités territoriales dans la mise en place des services sociaux de base et d’espace attrayant pour le bien-être de la population. En conséquence, les habitants ne développent pas un sentiment d’appartenance pour le village.
Cette précarité est due au fait que l’accès à certains services de base se fait rare et même indisponible. Les maisons ne disposent pas d’eau courante pour alimenter les besoins des ménages en nourriture, la lessive et autres. Ce qui revient à questionner la fonction de la Direction Nationale D’eau Potable et d’Assainissement(DINEPA) dans l’alimentation en eau courante. Malgré sa présence dans le quartier, ce sont des citernes renfloués par des camions qui fournissent de l’eau à la population à des prix exorbitants qui obligent certains membres de la population à marcher plusieurs kilomètres pour trouver de l’eau.
Quant à la gestion des déchets produits par les ménages et autres, il n’existe aucune forme de gestion de la part des autorités locales. Pour se débarrasser de ses ordures, la population les brulent-ce qui constitue un risque pour la santé à cause des fumées noires qui se dégagent- ou les déversent dans la ravine. Pourvu qu’il y ait une certaine proximité entre les ravins et les foyers des ménages, la qualité de l’air ne fait que contaminer la santé de ces derniers. De plus, le mauvais placement de certaines latrines-situées entre les ravins afin d’être capable de déverser dans ce dernier reste aussi l’un des problèmes de santé publique. Selon le dossier 2 du CRESDIP cité par Fritz Pierre (2009 :88), la manière de vidanger les fosses dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince augmente les risques d’infections. Le service public ne couvre que 10 à 20% des besoins de décharge; Le reste est assuré par d’autres particuliers utilisant des brouettes ou camions ouverts pour décharger les excréments dans les ravins, la mer dans des conditions inappropriées. De tels attitudes sont observables dans les pratiques des habitants de Cité plus.
Tous ces manquements contribuent à rendre les conditions d’habitat de plus en plus déplorable. Cette problématique urbaine correspond aux remarques de Berrouet cité par Fritz Pierre (2009 :90) :
C’est l’urbanisation sauvage, désordonnée et hétérogène qui se développe autour du centre-ville de Port-au-Prince où la majorité de la population urbaine vit dans les bidonvilles. N’ayant accès ni à l’eau courante, ni aux services sanitaires et encore moins aux services réguliers de collecte des résidus solides ; elle évolue dans des conditions infrahumaines.
Ce déséquilibre majeur entre la quasi-inexistence des services sociaux et la pression démographique demeure une énigme dans la problématique des conditions d’habitat à Cité Plus. Cette forme d’urbanisation en désarticulation avec la réalité démo-économique des habitants constitue un handicap dans les modes d’appropriation de l’espace. L’hypothèse de l’institut de sociologie urbaine semble (1968 :157) bien confirmer le paradoxe de la vie urbaine en Haïti marquée par un double décalage : « l’urbanisation est en avance sur l’industrialisation et les modes de vie sont en avance sur l’urbanisation ». Donc, le rapport de la population avec l’espace est marqué par de profondes contradictions. D’où l’enjeu de la question foncière dans toute tentative de résoudre la crise du logement en Haïti.
La question foncière et ses corollaires : Dimensions et enjeux
L’accès à la terre a toujours été une préoccupation pour les différentes couches sociales du pays. Dans cette course effrénée pour acquérir ce bien se développe en même temps une forme de spéculation foncière-Etat ou privé- générant des crises profondes. D’où le problème de la tenure foncière considérée par Dominique (2014 :108) comme la contradiction principale dans l’évolution de la société haïtienne. En fait, cette forme de spéculation a occasionné des inégalités quant à l’accès à la terre. Dans cette aventure, les masses urbaines qui ne pouvaient pas avoir accès à ces zones résidentielles ont érigé des taudis dans des zones périphériques.
Partout sont installées des constructions anarchiques qui augmentent de jour en jour sans retenir l’attention des autorités. Les habitants profitent pour en construire dans tous les corridors, sur les trottoirs sans le respect minimum des normes de constructions. Holly cité par Pierre (2009 :91) explique cette politique du laisser-aller par l’absence de planification urbaine, l’inexistence du cadastre, du plan de zonage et de l’inventaire des terres appartenant à l’Etat. L’occupation illégale des terrains à Village plus génère des conflits entre les membres du village quant au statut juridique des maisons qui n’est pas défini. Ce sont ceux qui réclame être propriétaire qui décident du prix des loyers dépendamment du contexte. D’ailleurs, Durand la période post-séisme beaucoup d’entre eux ont profité pour augmenter le prix en raison de la forte demande.
De plus, ces maisons sont pour la plupart des structures basses n’ayant pas des matériaux solides. L’essentiel pour ces habitants c’est d’avoir un logement, car l’augmentation des prix des matériaux de constructions et la détérioration des conditions socio-économiques de ces derniers. Ils n’ont pas les moyens nécessaires pour acheter ces matériaux. Le plus souvent, les propriétaires n’engagent pas d’ingénieurs, ni chercher à découvrir le type de sol qu’ils construisent leurs maisons. La vulnérabilité des conditions d’habitat concorde bien avec la triple expression de Chenet : (2014 :73) « Spéculation sur le foncier, spéculation sur le loyer et spéculation sur les matériaux de construction ». Une crise qui continue de s’enfoncer suite à la croissance urbaine observée dans le quartier.
Vulnérabilité des conditions d’habitat et représentations sociales des habitants du quartier
Un logement idéal qui favoriserait la santé physique et mentale et procurerait à ses occupants un sentiment de sécurité psychologique ; de lien physique avec leur communauté et leur culture en leur permettant d’exprimer leur identité semble être l’aspiration des habitants du quartier de Cité plus. Selon eux, les conditions d’habitats dans lesquels ils évoluent ne conviennent pas à leur bien-être physique et moral, mais ce sont la situation socio-économique qui les oblige à occuper cet espace dans ses conditions déplorables. Il n’y a pas vraiment un sentiment d’appartenance, car ils se sentent oubliés dans les échelles des grandes décisions qui concernent le devenir de la société. Le quartier reste selon eux un espace de transition, car les conditions de vie sont vraiment déplorables. D’ailleurs, doit-on préciser, une grande partie des propriétaires n’habitent pas dans le quartier, ils ne viennent que pour négocier le prix du loyer de leur maison. Ce qui montre l’ampleur des conditions d’habitat dans le quartier. Donc, c’est une réalité vécue douloureusement par les habitants du quartier.
Conclusion
Les problèmes que fait face le pays sont multiples, mais celui lié à la croissance urbaine et ses impacts sur la société devrait soulever la préoccupation des chercheurs et des décideurs en vue de chercher d’autres causes profondes et des mesures nécessaires pour une solution méliorative ou transformationnelle. Dans le cadre de cette recherche, nous avons voulu saisir et expliquer la vulnérabilité des conditions d’habitat au regard de la croissance urbaine à village Plus. Les données et analyses montrent l’effet pervers de la promiscuité lié à la pression démographique sur la santé de la population. En raison d’une absence de contrôle de l’évolution de la croissance urbaine en Haïti, c’est tout l’environnement immédiat et périphérique des habitants du quartier de village plus qui semble menacer, car ils font face à toutes sortes de risques menaçant leur existence. Aussi, n’est-il pas opportun et urgent de penser à une véritable politique publique de logements sociaux et d’habitat qui prendrait en compte les familles concernées avec la participation des chercheurs d’horizon divers, donc une démarche pluridisciplinaire et participative?

Berlony JULES
Travailleur Social
Email : julesberlony@gmail.com
Tel : (509) 38 49 48 80



Bibliographie
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DOI 10.3917/mouv.039.0009
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Rubrique: Divers
Auteur: Berlony JULES | julesberlony@gmail.com
Date: 2 Oct 2017
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