HAITI, FACE À PHÉNOMÈNE DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE (DEUXIÈME PARTIE)[1]de FABIEN JEAN| JobPaw.com

HAITI, FACE À PHÉNOMÈNE DE L´IMMOBILISME SOCIAL ET POLITIQUE (DEUXIÈME PARTIE)[1]


LE MUTISME PRÉVALIEN (2ème Partie)

SOMMAIRE
2.1. Première caractéristique du mutisme prévalien
2.2. Seconde caractéristique du mutisme prévalien
2.3. Difficulté d´accorder une image de populiste à Préval
2.4. Le mutisme prévalien en dehors du pouvoir
2.5. Facteurs temporels et conjonctutels en faveur du terminus du second mandat de Préval

Selon certains analystes politiques le comportement d´homme mutiste, d´homme indiscret et peu bavare de M. Préval n´est pas le fait de son tempérament ou de son caractère, ce n´est pas non plus un simple choix innocent ou naturel, mais une fine stratégie politique mûrement réfléchie compte tenu de sa compréhension de la physionomie politique d´Haiti. Cette formule marche et s´avère jusque là, pourrait-on le dire, être fructueuse à son profit, car, contrairement à son ancien coéquipier qui l´a inicié dans la vie politique haitienne en ayant fait de lui, en 1991, son Premier ministre, nous voulons parler donc de Jean-Bertrand Aristide, il a réussi ses deux quinquenats, l´un de 1996 à 2001, et l´autre de 2006 à 2011, ce, en ayant évité tout populisme dérangeant, tout propagantisme médiatique nocif et tout coup raide avec un international qui le tient à la gorge et entre les mains duquel se trouvent concentrer le système politique et le monopole économique du pays. Il s´est ramolli en se comportant comme un liquide qui prend la forme de chaque récipient dans lequel il est versé ou encore un argile dans la main d´un potier qui le façonne comme bon lui semble et lui donne la forme qui lui plaît, ou plus exceptionnellement un caméléon politique dont la couleur métamorphosée est celle de chaque feuille d´arbre sur laquelle il est posé. Dans ce cas de figure, nous nous référons à trois entités: le peuple, l´international et l´opposition politique.
M. Préval est l´un des rares hommes politiques contemporains haitiens qui maîtrise mieux que ses prédécesseurs la culture politique haitienne, le jeu diplomatico-mafieux de l´international, les épines que tend le plus souvent l´opposition politique nationale aux hommes d´État et la meilleure technique de s´adresser au peuple pour le calmer en faisant semblant d´entendre son cri. Il a inventé sa propre stratégie et technique de conservation du pouvoir, celle de ne pas être trop bavard, de ne pas être trop vu au devant de la scène, de ne pas être un amant du micro de la presse, de se taire et de parler au bon moment, enfin, celle que nous appelons ici un mutisme politique qui, avec lui peut-on dire, devient un comportement politique à prendre au sérieux. Il a eu la dextérité de déjouer les deux principaux acteurs extrêmes, savoir, l´international et le peuple, pour pouvoir lui-même s´en sortir intact sans causer le moindre dommage, la moindre frustration à l´une ou l´autre des trois parties.
Et il en a réussi, mais pas le peuple. Il a sauvé sa peau en noyant le peuple qui ne sait pas nager. En ce sens, il savait très bien ce qu´il disait en demandant au peuple de nager pour sortir. Mais, ce comportement mutiste n´est pas nouveau dans l´histoire du comportement des hommes politiques haitiens. Préval incarne le style de Pétion dans son attitude de chef d´État qui n´aime pas trop se prononcer sur les sujets qui dérangent et blâmer ses coéquipiers. En effet, Pétion était un chef d´État très peu bavare, discret et fermé, alors c´est dans cette même trampe que l´on retrouve M. Préval. Il est difficile de savoir ce qu´il manigance, ce qu´il a derrière la tête. Rappelons les faits pour mieux comprendre.

2.1. Première caractéristique du mutisme prévalien

Au cours de la gouvernance de M. Aristide, M. Préval, Premier ministre à l´époque, a été pratiquement un premier ministre fictif, figuratif voire édenté, comme on le dit dans le langage haitien un premier ministre POPE TWÈL, c´est-à-dire celui dont le rôle se résume uniquement et strictement à l´approbation de tout ce que désire le chef en l´occurrence Aristide. Il fut paradoxalement un premier ministre rempli de pouvoirs, ceux que lui confère théoriquement le texte constitutionnel, en même temps qu´il en était absolument et complètement dépourvu sur le plan pratique. Face à un président super star, m´as-tu vu, qui se veut être le sublime maestro au devant de la scène, seul à être vu, applaudi et acclamé de le public, il ne pouvait que s´obscurcir. M. Préval ne se gênait pas d´être un Premier ministre de ce genre. Il s´est laissé faire. Par ailleurs, il faut rappeler que M. Préval était en exil avec M. Aristide et est revenu au pays en 1994 en sa compagnie, donc il comprenait même le soupir du chef; et, à cause de sa fidélité et de son dévouement à lui, il a bénéficié de la bienveillance de ce dernier qui, par ses manoeuvres politiciennes, l´a soutenu à devenir son successeur en 1996. Même jusque là encore, en accédant à ce poste dignitaire, M. Préval, pour ne pas déplaire à son chef, qui a dépensé toute son énergie à faire de lui également un chef, s´est revêtu d´un manteau d´homme politique pas trop différent de sa posture d´autrefois premier ministre: un président fictif qui doit toute sa gratitude à son ancien chef.
Autrement dit, constitutionnellement M. Préval était le président d´Haiti, mais en principe, politiquement parlant c´est M. Aristique qui dirigeait le pays, et M. Préval ne pouvait même pas déplacer une pierre sans qu´il ne soit pas tenu de le mettre au courant. M. Aristide agissait de la sorte dans la perspective de conserver le pouvoir, il a réalisé ce qu´on appelle communément une petite passe courte et même trop courte en attendant impartiemment en retour que la balle lui soit retournée aux pieds de la part de son dauphin. Le chef est un affamé de pouvoir et cela doit être compris. En tout cela, Préval, en apprenant et en commençant à se construire ce type de comportement mutiste, se laissait donner la forme qui plaît au chef. Déjà, à partir de là, nous commençons à entrevoir un mutisme politique de Préval caractérisé par deux choses, d´une part, un silence quasiment absolu de Préval, comme si tout allait pour le meilleur dans les relations entre les deux hommes, une gouvernance sournoise d´Aristide, c´est-à-dire une main mise aristidienne sur tous les pouvoirs de l´État, de l´autre. En ce sens, M. Préval jouait un rôle de rebond et de couverture. Pris au piège d´un chef très populiste qui ne veut pas qu´un autre le soit plus que lui, auquel il doit tout, Préval a donc choisi de se retrecir, ce, même au détriment du peuple. En fait, il n´avait que cette seule option. Et, pour gagner sa peau, il lui était impératif d´agir de la sorte.
Cette première image du mutisme prévalien a précipité le pays dans un immobilisme social, politique et économique total en ce sens qu´au lieu de se consacrer à travailer au profit du pays, il se surveillait à voir quand est-ce que tel acte qu´il pose plaît ou pas à son chef, c´était une sorte d´obsession politico-affectionnelle ou contraignante dans le sens magico-politico-religieux du terme. Pour pouvoir se sauver lui-même, son premier mandat et sa réputation en tant que président, et pour s´assurer que la balle sera bien remise à son coéquipier qui s´impatiente de voir poindre le moment pour reprendre sa place comme si l´État était un bien privé, il se décidait à se fermer sur lui-même et à se taire sur des sujets dérangeants pour les puissants secteurs, qu´il soit le secteur économique, les groupements politiques et l´international, pourtant fondamentaux pour améliorer le sort du peuple. Ainsi, le mustisme prévalien de 1996 à 2001 est un prolongement du populisme démagogique d´Aristide, mais avec une touche et une dexterité prévalienne. Au même titre que le populisme aristidien de 1990 à 1991 et de 2001 à 2004, ce mutisme n´a fait qu´enterrer les intérêts du peuple en immobilisant le pays.

2.2. Seconde caractéristique du mutisme prévalien

Si le mutisme de M. Préval de 1996 à 2001 était une stratégie politique pour mieux s´échapper particulièrement aux menaces d´Aristide, celui de son second quinquenat de 2006 à 2011 lui a été imposé par divers facteurs, parmi lesquels nous aimerions citer la pression internationale qui est omniprésente dans la politique haitienne, l´opposition démocratique de plus en plus forte et renforcée, l´épineuse question du retour de deux anciens présidents exilés, en l´occurrence M. Duvalier et M. Aristide, l´affaire de la CIRH et l´insatisfaction accrue des besoins sociaux, alimentaires et sanitaires de base du peuple. M. Préval fuyait intélligemment et techniquement la presse pour éviter des interventions fantaisistes qui pourraient froisser plus d´uns, mais surtout pour ne pas réveiller la colère d´un peuple soumis, à cet effet, il s´est réservé de prendre la parole quand il l´estime nécessaire et toujours au bon moment.

Malgré les rumeurs, M. Préval s´est tu sur le retour de ces deux anciens chefs d´état. Il ne pipait mot. En ce qui concerne les critiques de l´opposition, des sociétés civiles et des partis politiques, des organismes des droits humains et autres contre la CIRH à sa tête l´ancien président américain Bill Clinton et le premier ministre Bellerive, M. Préval a agi comme si une telle structure formée de hauts dignitaires politiques nationaux et internationaux n´avait jamais existé à cause de sa désastreuse gestion des fonds de la reconstruction. Rappelons, pour ce faire, même très succintemente, le geste héroique et courageux de M. Préval lorsque M. Clinton devait prendre la parole à l´occasion du grand rassemblement populaire pour marquer la tragédie du 12 janvier 2010. En effet, M. Préval a laissé gentillement au vu et au su du monde entier son siège à un moment simultané où M. Clinton devait gravir la tribune pour se prononcer. Vexé, offusqué et enorgueilli, M. Préval ne pouvait plus supporter les mensonges qu´allait lui faire avaler M. Clinton sur la gestion de la CIRH.

Ce geste, dirait-on, a sauvé en quelque sorte M. Préval de cette affaire alors qu´en tant que chef de l´État, il devrait en être le premier responsable. Par ce geste, qui vaut d´ailleurs une myriade d´interventions médiatiques, M. Préval a dit au peuple haitien en général, et à la communauté internationale en particulier, qu´il s´est lavé les mains comme le Ponce Pilate dans cette affaire. Ce geste traduit, en outre, le refus de M. Préval, malgré la dépendance économique et la domination politique d´Haiti par l´international, d´être toujours sa caisse de résonance. Ainsi donc, la communauté internationale, se voyant échouée dans cette affaire et dans bien d´autres d´ailleurs, a un peu lâché le coup à Préval. Elle ne le pressure pas trop. Quant aux situations sociales et économiques du peuple, elles sont toujours restées insatisfaites, mais les protestations et les manifestations y relatives sont bien moindres qu´auparavant. Et M. Préval, paraît-il, s´en sentait un peu confortable.

Trois faits résument ce mutisme. Il s´agit en tout premier lieu, de ce geste patriotiquement courageux à l´égard de M. Clinton - bien que diplomatiquement très dérangeant et embarrassant - auquel la majorité des Haitiens, tant à l´intérieur qu´à l´extérieur pour ne pas dire la nation haitienne, s´est identifiée. Il traduisait pour les Haitiens en quelque sorte une leçon de dignité et de personnalité pour dire qu´en dépit de tout un minimum des valeurs humaines innées nous est resté. Un simple geste silencieux et mutiste mais qui a eu les effets d´une bombe. Le deuxième fait renvoie au silence de M. Préval du début jusqu´à la fin sur l´affaire de Jude Célestin, son dauphin, qui a été forcé par l´international d´abandonner la course nominale-electorale en 2010. En effet, il mettait tout son espoir en Jude pour pouvoir reproduire le schéma aristidien ou la théorie aristidienne de ''Ti pas kout''. C´est pour l´une des raisons pour lesquelles luttait pour changer la constitution qu´il a finalement rendue bancale, inopérante et maladive avec un amendement mafieux et Tèt anba, comme dirait Gary Victor. Non seulement il s´est rendu sourd-muet sur l´injonction de l´interntational faite à Jude de laisser tomber, mais il ne s´est jamais prononcé sur la décision de Jude qui, sous de poignantes pressions, a finalement jeté l´éponge. Tel est le troisième et dernier élément marquant de ce mutisme prévalien. À retenir qu´en tout cela il en sort gagnant et le seul perdant c´est toujours ce pauvre peuple affamé et nu. Enfin, ce fut un mutisme d´un autre genre qui a abouti à des effets, bien sûr non voulus et non attendus par M. Préval, d´une autre nature favorable bien entendu à lui.

Mais, les mutismes de M. Préval lui ont valu le visage d´un chef d´état irresponsable, poltron, désarmé, celle qu´on attribue à un père délinquant et démissionnaire qui laisse ses enfants faire ce qu´ils veulent. M. Préval a déclaré au peuple, suite aux crises socio-politiques et économiques de 2008, de nager pour sortir lui-même de sa situation, autrement dit, il appelle le peuple à être le seul maître de sa destinée. C´est aussi un autre type de discours d´un démagogue qui, pris toutjours au dépourvu, lâche et mécriant, renvoie la balle aux pieds de ceux dont il est sensé avoir la charge de garantir un bien-être et de protéger. Un démagogue n´est pas seulement celui qui flatte les faveurs du peuple, mais c´est également quelqu´un qui se décharge des responsabilités que lui confèrent la constitution nationale et les lois de la république pour les renvoyer au camp du peuple alorsqu´il sait pertinemment que ce dernier serait incapable de les assumer. Un homicide social et économique qui ne dit pas son nom, voilà comment faudrait-il quailifier un tel agissement. En fait, les derniers instants de l´attitude mutiste de M. Préval à la fin de son mandat entre 2009 et 2011 étaient délétères. Néanmoins, jusqu´à preuve du contraire, son mutisme, contrairement au bavardage des uns et aux excès de langage des autres, lui impute la réussite de ses deux mandats en dépit du fait qu´ils ont contribué à rendre l´État de plus en plus bancale et à immobiliser la société en effondrant la classe moyenne. Il est le seul chef d´État, depuis 1986, à pouvoir achever son mandat deux fois subséquemment. Donc, on peut dire que son mutisme a été pour lui une réussite politique, mais un échec total pour le pays et une coupe amère pour le peuple.

2.3. Difficulté d´accorder une image de populiste à Préval

Il est difficile de placer l´ancien président Préval dans le courant des mouvements populistes s´il faut entendre par là toute initiative politico-démagogique qui se dit être à l´écoute du peuple en faisant de lui son arme de combat, une vision d´aller dans le sens de sa volonté et de vouloir satisfaire ses désirs, enfin, s´il convient de souligner qu´il s´agit d´un modèle de gouvernance qui met les intérêts des masses populaires au centre des grands projets de développement social, économique et culturel du pays. Il ne s´y reconnaît pas. Bien au contraire, au cours de son second mandat, M. Préval a tout fait pour exclure les collectivités territoriales - véritable bras fort de représentativité des masses populaires et paysanes - des réunions gouvernementales où se prennent les grandes décisions étatiques. Ce faisant, il a clairement prouvé qu´il n´entend pas écouter les revendications du peuple, et que les intérêts de ce dernier ne sont nullement sa priorité. Mais, par ailleurs, le plus intéressant dans tout ça, c´est que le peuple a trouvé en M. Préval l´image d´un chef d´État qui ne le flatte pas avec de vains mots, mais qui lui parle crûment et directement quand il sort de son mutisme surtout lorsque la circonstance et le contexte socio-politique le lui imposent. Quand il se tait, alors que les crises s´empirent, le peuple, étant impatient de l´entendre, réclame des explications, et il lui en donne, non pas dans le sens qu´il le désire lui-même, mais dans le sens que lui-même, en tant que fin politicien, estime le plus proprement stratégique pour lui en faire part.

Si M. Aristide, durant ses quiquenats à deux reprises inachevés, disait au peuple le plus souvent ce qu´il voulait entendre, M. Préval, de sa part, lui disait ce qu´il attend de lui, ce qu´il pense être mieux pour lui en le passant dans son laboratoire de psychologie politique. Deux discours nettement différents. Cela doit nous rappeller, par conséquent, les réactions de M. Préval aux émeutes de la faim de 2008 qui ont forcé le départ du premier ministre dès lors, nous voulons parler de M. Jacques Edouard Alexis. En effet, M. Préval s´est adressé au peuple dans un langage qui se peut être interprété comme un populisme très voilé et controversé, mais qui ne l´est pas effectivement. Pendant qu´il négociait avec les principaux commerçants des produits alimentaires et de première nécessité, il a clairement laissé comprendre au peuple que la diminution des prix ne dépend pas de lui au premier chef, et que l´État, dans une telle situation, ne peut être qu´un médiateur entre les cris des masses défavorisées et les grands commerçants en vue de parvenir à une sortie de crise, et non un potentiel décideur. Entre temps, son PM - entrain de jeter de grosses gouttes de sueurs devant un parlement qu´il tente vainement de convaincre - venait tout juste d´être brièvement et même brutalement renvoyé après un vote de censure de ce parlement. Sans vouloir rentrer dans les détails politico-complexes de ce vote, il est bruit que c´était voulu par M. Préval que M. Alexis parte, en d´autres termes, il attendait une occasion favorable pour se débarasser de son PM qui, au cours de route, commeçait à lui déplaire considerablement.

En disant au peuple que ce qu´il attend de lui c´est de rentrer chez lui, de le laisser le soin de résoudre ses problèmes, de se pencher sur ses revendications qui sont d´ailleurs justes et justifiés, Préval a une fois de plus prouvé sa capacité d´amadouer et de dominer psychologiquement un peuple qui, en dépit de tout, l´apprécie et aime, malgré lui, son style. Ainsi, il lui avait obéit en vidant les rues. Cependant, jusqu´au terminus de son mandat, il n´y a eu aucune amélioration sociale. En effet, M. Préval a montré l´efficacité de sa méthode consistant à dire peu de mots et des paroles justes et directes au peuple et a toujours évité de le faire perdre la tête dans de longs discours philosophiques et politiques qui, au final, ne lui apportent absolument rien de concret. C´est de cette manière, toutefois, qu´il a réussi à boucler ses deux mandats avec la même stratégie et la même technicité politique qui, au fil du temps, n´ont pas changé mais se sont transformées en s´adaptant à chaque moment et circonstance de la réalité sociale, politique, économique et culturelle du pays.

2.4. Le mutisme prévalien en dehors du pouvoir

Après la fin de son premier mandat en 2001, M. Préval s´est etteint complètement de la scène politique haitienne, il était considéré comme mort politiquement parlant puisqu´on n´entendait plus parler de lui. Il s´est renfermé à Marmelade, sa ville natale, où il se consacrait à l´agriculture. Personne et absolument personne n´a su et ne pouvait savoir à quel moment se concrétiserait son retour en politique. Les intentions politiques de M. Préval, puisqu´il s´est clos à la Presse, étaient obstrues jusqu´au jour où il a ouvertement déclaré lui-même sa candidature aux ''élections'' présidentielles de 2005 pour briguer un second mandat, ce, après de nombreuses rumeurs sur cette éventuelle candidature qui, finalement, était devenue une réalité. De ce fait, il s´est rendu au Conseil Electoral Provisoire pour remplir les formalités y relatives. Il est bruit que ce sont les masses populaires qui ont motivé, encouragé et même stimulé M. Préval à se porter candidat, ce pour plusieurs raisons parmi lesquelles il convient de souligner quatre.
Premièrement le fait que M. Préval a représenté pour ces masses désespérées l´incarnation d´un espoir, d´un changement de vie après la dure traversée avec Aristide entre 2001 et 2004; deuxièmement les partisans d´Aristide et différentes organisations populaires qui luttent pour son retour ont apporté un support considérablement à M. Préval au détriment de M. Manigat, dans le but de s´assurer du retour de leur leader charismatique incontesté, troisièmement l´opinion publique croit que l´apport des masses à M. Préval est un rejet et une sanction infligée à M. Manigat qui, selon elle, en tant que symbole de l´intelligentsia haitienne qui, depuis un bon bout de temps, prône un discours trop abstraitemente intellectuel, philosophique et scientifique dans lequel ces masses ne se retrouvent pas et auquel elles ne s´identifient pas, enfin, quatrièmement le dévolu jeté sur M. Préval s´est avéré le point de départ de tout un arsenal de révendications des masses défavorisées. Seront-elles cette fois satisfaites? Ainsi, nous pouvons dire que ce premier scénario de mutisme hors du pouvoir a ouvert la voie au pouvoir à M. Préval pour un second quinquenat.

M. Préval, nous le répétons, est un fin politicien à l´image de Pétion qui est très peu bavare et qui utilise toujours les bonnes stratégies pour affaiblir ses adversaires et même à la limite gagner leur confiance. Cependant, en dépit de ce charisme à s´imposer un tel mutisme, il n´a pas pu - comme Aristide l´avait fait pour lui - imposer au peuple haitien le choix de M. Jude Célestin à la fois son dauphin et son beau-fils. Ce qui résulte d´une sanction de l´international et d´une revanche populaire. En d´autres termes, en ayant rejeté d´un revers de main M. Célestin, bien que classé en deuxième position après Mm. Manigat lors des présidentielles de 2010, l´international s´est bien vengé du mutisme de M. Préval qu´il a très malement supporté pendant cinq années d´immobilisme social, politique et économique au point qu´à la dernière minute il voulait le livrer à la boucherie.

Et le peuple dans tout ça, quelle a été sa sanction contre M. Préval à cause de ce mutisme dont il n´a pas non plus digéré les effets?

Comme j´ai l´habitude de le dire, le peuple haitien ne vote pas en réalité, tout le monde sait que c´est une stupidité et une abération de dire qu´il vote, c´est l´international qui choisit toujours à la place du peuple son candidat parce que c´est lui qui finance les élections et cela va de soi. J´ai longuement développé cet aspect qui handicape le développement du système politique haitien dans un article titré « Haiti, seul PMA de la Caraibe dans la pratique du jeu international d´élection-nomination », sur ce, pas la peine de revenir sur un tel aspect qui est déjà une vérité absolue et irrefutable. Donc, ce qui veut dire que la mise à l´écart de M. Célestin n´est pas la sanction du peuple, mais celle de la communauté internationale. En fait, le peuple a choisi de répondre au mutisme de M. Préval par des manifestations populaires violentes, des mitings, des marches avec assiettes et cuillères à la main pour réclamer à manger. M. Préval a pu quand bien même y résister. Insatisfaites de la gouvernance mutiste, pâle et irresponsable de M. Préval qui n´a pu réellement leur apporter l´espoir tant attendu, les masses populaires ont obligé d´accepter le choix de M. Martelly par l´international au détriment de Mm. Manigat qui a fait l´objet de nombreuses critiques et a subi quasiment la même sanction que son mari. Donc, le peuple n´a pas riposté contre ce choix ni défendu M. Célestin que M. Préval a, en vertu d´un calcul politique, offert en holocauste. C´était une autre forme de sanction, car c´est un président qui n´est pas trop populaire, pas très aimé ni trop haï non plus. Tel qu´il est, il laisse dans la mémoire collective l´image d´une gouvernance étatique insipide. Le peuple a, semble-t-il, oublié M. Préval avant même que son mandat touche à sa fin en raison du fait qu´après les émeutes de la faim de 2008, jusqu´au tremblement de terre, il n´y a pas eu de trop grandes manifestations populaires qui auraient ébranler son quinquenat.

M. Préval est parti, M. Martelly le succède en mai 2011. Depuis lors, il est apparu uniquement deux fois sur la scène publique: à l´occasion de son audition sur l´affaire Jean-Dominique et lors de sa sortie du palais national après avoir répondu à une invitation du président Martelly. Ce furent deux occasions au cours desquelles il est passé complètement inaperçu en termes de médiatisation politique surtout en comparaison à l´audition d´Aristide dans cette même affaire judiciaire qui a provoqué un tapage médiatique monstre. Ainsi, mis à part ces deux sorties exceptionnelles, M. Préval s´est encore éteint politiquement, cela fait 4 ans. Il est bruit qu´il est retourné à Marmelade en répétant le même scénario de 2001. De 2011 à nos jours un second scénario du mutisme prévalien à l´extérieur du pouvoir est ouvert. En aura-t-il un troisième, soit-il, à l´intérieur ou à l´extérieur du pouvoir? On n´en sait pas trop, mais, du point de vue juridico-légal, il est pratiquement impossible, car en ce qui concerne les mandats présidentiels la constitution est claire qu´un individu ne peut briguer que deux mandat intercallés sur une période de 5 ans.

Mais, qu´est-ce qui explique que malgré les protestations du peuple et le fait que l´international l´a vraiment coincé, M. Préval a quand bien même pu terminer son mandat? Deux facteurs ont joué en faveur de M. Préval, l´un temporel et l´autre conjoncturel.

2.5. Facteurs temporels et conjonctutels en faveur du terminus du second mandat de Préval

En effet, le facteur temporel a été favorable à M. Préval. En premier lieu, on peut dire, dans une certaine mesure et avec une certaine réserve, que son second mandat en 2006 a bien commencé dans le sens que sa victoire a été acceptée par les partis politiques et moins contestée par l´opinion publique et l´opposition politique, même si M. Manigat eut malement digéré sa défaite. En second lieu, les masses populaires ont appuyé la candidature avec la soif et l´impatience de voir concrétiser leur attente du retour d´Aristide. Bien affamées, mal vêtues et dépourvues de tout, elles ont tout oublié pour applaudir cette grande satisfaction que M. Préval venait de leur donner en s´étant arrangé pour permettre le retour de M. Aristide en mars 2011 qui fut comme la cérise sur le gâteau après le retour de M. Jean-Claude Duvalier, lesquels retours ont, entre autre, détourné l´attention de la population et des classes politiques en faisant la une de l´actualité jusqu´à la fin du second mandat de Préval. La société en général s´est plongée dans de profondes réflexions et interrogations sur le bien fondé de ces deux retours pendant que M. Préval et son mutisme sont momentanément oubliés. En effet, mis à part toute autre argumentation, d´une part, le retour au pays en janvier 2011 du dictateur Jean-Claude Duvalier qui, après la décente aux enfers qu´il a vécue en France pendant 25 ans d´exil, s´est décidé à revenir passer les derniers instants de sa vie sur sa terre natale, et de fait, il est décédé trois ans plus tard, soit en août 2014, d´autre part, celui d´Aristide, peuvent être considérés comme deux coups de maître de M. Préval.
Le second facteur qui a joué en faveur de M. Préval est à la fois d´ordre conjoncturel et naturel: le séisme du 12 janvier 2010, en dépit du goût amer qu´il a laissé sur les lèvres des familles haitiennes, a joué un rôle important dans le terminus du mandat de M. Préval. C´est un chef d´État dépassé par les événements et impuissant face à un international envahisseur! Pir diable ou pir démon que l´on puisse être, il est impossible d´oublier, ne serait-ce qu´un instant, les rivalités diplomatiques et politiques entre la France et les États-Unis pour le contrôle du territoire, en dépit des lamentations des familles haitiennes sur le sort de plus de 200.000 cadavres, les éléphants qui se battaient ont fait fi de plus d´un million d´estropiés et de sans abris de ce séisme. Toutefois, c´est une catastrophe que l´État doit gérer malgré sa déliquescence, de plus, M. Préval, étant à la dernière ligne droite de son mandat et le seul homme du moment, c´est déjà du passé, dirait-on. Donc, la conjoncture impose qu´on le laisse tranquile.
En dépit de l´effet psychologique de la catastrophe sur lui, il partira, sans nul doute, avec le sentiment d´avoir été un des grands stratèges de l´histoire politique contemporaine d´Haiti. M. Préval est le Pétion de la politique moderne d´Haiti, l´incarnation d´un chef d´État démagogue qui trompe avec dextérité et finesse le peuple et immobilise la société en fermant les yeux sur ses problèmes cruciaux. Paradoxalement, c´est un président qui ne jouit pas vraiment d´une réputation politique très populaire, même si, jusqu´à preuve du contraire, il est le seul et l´unique qui soit parvenu à comprendre et à maîtriser mieux le peuple, son instinct, sa passion et ses émotions. Il a un tempérament propre à lui qui ne froisse pas le peuple mais plutôt capable de l´amadouer.
Ainsi, le temps qui lui restait ayant été court, la conjoncture politique avec le retour de ces deux anciens présidents surtout celui de M. Aristide pour calmer les fureurs popualires, la conjoncture naturelle du séisme sont entre autres certains facteurs avantageux qui expliquent en quelque sorte pourquoi et comment M. Préval a pu achever son second mandat tout en demeurant un président pas trop populaire ni populiste de la trampe d´Aristide.

Somme toute, le mutisme prévalien a été tout aussi catastrophique, cancéreux, désastreux et désavantageux pour le peuple haitien que le populisme aristidien, il a contribué également à plonger le pays dans un immobilisme, ce qui est traduit communément par un ''marquer les pas sur place''. M. Préval a passé tout son temps à leurrer le peuple pendant qu´il n´y a pas eu de croissance économique, la classe moyenne a pratiquement disparu, les pauvres s´engouffrent dans la pauvreté, le chômage est à son comble et les besoins sanitaires, ceux en eau potable et en alimentation restent toujours insatisfaits. Le mutisme prévalien, contrairement au populisme aristidien, peut-on dire, n´a été bénéfique dans les faits que pour M. Préval lui-même, car jusqu´à présent, il est le seul et l´unique président d´Haiti de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle à avoir réussi deux mandats, puis s´est retracté tranquilement une fois de plus à Marmelade avec le sentiment d´une mission accomplie. Sans vouloir spéculer sur le futur, il n´y a pas lieu pour M. Préval de revenir sur la scène politique, si toutefois, cela arriverait à se produire, c´est bien sûr un autre Préval qui nous reviendra. Mais, en attendant que cela survienne, il s´étteint jusqu´à cette présente minute. En dépit de tout, parmi les présidents constitutionnellement élus, seul M. Préval jusqu´alors peut dire en vertu de son mutisme à l´instar de l´apôtre Paul: ''J´ai combattu le bon combat contre le peuple, l´opposition et l´international, j´ai achevé mes deux mandats sans rien à me reprocher, maintenant je peux me clore en paix à Marmelade où la couronne du mutisme m´est réservée''. Mais, si le populisme est en quelque sorte moins prononcé chez M. Préval que le mutisme, avec M. Martelly, son successeur, nous sommes entrés dans un autre univers de la pratique politique haitienne. En effet, depuis son accession au pouvoir, le propagantisme politique est à un niveau du jamais vu en Haiti, ce que nous pouvons appeler aussi une intoxication médiatique. C´est ce dernier point qu´il nous reste à aborder dans cette série d´analyses qui se propose de comprendre en quoi consiste le phnénomène de l´immobilisme social et politique d´Haiti.
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[1] Cet article est publié tant en bloc qu´en partie séparée.


RÉFÉRENCES

MICHEL, Leverrier. L´impossible de accès à la parole: Quatre histoires cliniques: Autisme, mutisme psychotique, dépression infantile et deuil chez l´enfant. Ramonville Saint Agne: Eres, 2004, 228 p.

ZERDALIA, K.S. Dahoun. Les couleurs du silence: le mutisme des enfants de migrants. Paris: Calmann-Levy, 1995, 258 p.
Rubrique: Divers
Auteur: FABIEN JEAN | jeandefabien1982@yahoo.fr
Date: 4 Juin 2016
Liste complète des mémoires et travaux de recherche