Le “social business”, quelles perspectives pour Haïti? de Jean Shanon Beaublanc| JobPaw.com

Le “social business”, quelles perspectives pour Haïti?


L'entreprenariat social, s’il est utilisé a bon escient, peut être un puissant instrument de lutte contre la pauvreté à travers les principes et les valeurs du social business (SB) qui en est un sous-ensemble. Ce dernier etant une entreprise normale, qui relève d’une démarche marchande, sauf que son objectif n’est pas de gagner de l’argent mais de mener à bien une mission sociale. C’est une démarche privée, au sens de Thierry Sibieude, qui place l’intérêt collectif au dessus des intérêts individuels et/ou la finalité sociale est supérieure à la finalité économique. Un social business ne distribue pas de dividendes. Les propriétaires peuvent récupérer la somme investie après un certain temps du fait que les profits réalisés sont destinés à financer son expansion, à créer de nouveaux produits ou services. A travers ce papier, j’essaie de démontrer comment Haïti devra-t-elle se positionner afin de pouvoir profiter pleinement de ce nouveau créneau de développement qu’est le social business.
Le “social business”, quelles perspectives pour Haïti?
En 1974, des milliers de Bangladais mouraient par inanition à cause de la grande famine qui s’abattait sur le pays. Le Professeur Yunus décida alors de fuir le monde universitaire pour mieux, dit-il, comprendre la réalité qui entoure l’existence d’un pauvre, découvrir la véritable économie, celle de la vie réelle. Il fit la rencontre de Sufia Begum une jeune femme de 21 ans, mère de trois enfants. Artisane, elle travaille du bambou grâce à un prêt, d’un usurier, de 5 Taka, soit 22 cents qui lui permettent de réaliser un bénéfice de 2 cents (deux centimes) contre quatorze heures de travail par jours pour un taux de remboursement journalier de 10%.
Face à cette situation, le Professeur d’économie déduisit que le salut de cette jeune femme viendrait d’un crédit qui aurait été octroyé par une institution dont la motivation première ne serait pas la réalisation de profits, mais plutôt une volonté d’arracher des hommes et des femmes des griffes de l’extrême pauvreté pour en faire des entrepreneurs réussis et solvables. Apres recensement des familles pauvres du village de Jobra situé à proximité de son Campus, Yunus, de sa poche, offre un prêt (crédit) de 27 dollars à un groupe de femmes (42) et ce fut la genèse de la Grameen Bank (GB) qui marquera à jamais l’histoire de l’humanité à travers la lutte contre la pauvreté.
En très peu de temps, la GB permit à plus de douze millions de Bangladais de sortir des méandres de la pauvreté, ce que des milliards de dollars d’aide étrangère n’ont pas su faire pendant près d’un siècle. De la chine, en passant par la France, la Norvège et le Canada pour arriver aux Etats-Unis, le microcrédit, tel que conçu par Yunus à travers la Grameen Bank, va permettre à des millions de pauvres de se prendre en main, fuyant du coup le cycle infernal de la pauvreté qui, en aucun cas, ne saurait être une fatalité. Il suffit pour cela d’entreprendre autrement, de donner un visage plus humain à l’économie classique de telle sorte que les besoins des plus démunis, des plus vulnérables soient au cœur de l’activité économique à travers une forme d’économie dite « sociale et solidaire » qui promeut le « social business » à travers l’entreprenariat social.
Le social business est, selon Yunus, une entreprise normale, qui relève d’une démarche marchande, sauf que son objectif n’est pas de gagner de l’argent mais de mener à bien une mission sociale. C’est une démarche privée, au sens de Thierry Sibieude, qui place l’intérêt collectif au dessus des intérêts individuels et/ou la finalité sociale est supérieure à la finalité économique. Un social business ne distribue pas de dividendes. Les propriétaires peuvent récupérer la somme investie après un certain temps du fait que les profits réalisés sont destinés à financer son expansion, à créer de nouveaux produits ou services.
Dans ce contexte, Thierry S. voit en l’entrepreneur social le porteur d’une vision de la société qu’il cherche en permanence à partager. Il aura rempli sa mission lorsqu’il aura défini et exprimé intelligiblement son idée, qu’il aura répondu au problème/besoin social identifié, mis en œuvre l’organisation la plus adéquate pour y répondre et contribuer in fine à un changement profond et à long terme du sujet dont il s’est emparé. Il est donc très loin des sentiers battus de la théologie du capitalisme dont la construction et les préceptes ne permettent pas forcément de résoudre de façon efficace et définitive les problèmes sociaux comme nous le démontre la crise actuelle.
Fort de ces considérations, mais surtout en tenant compte de l’idéal de l’entreprenariat social qui préconise, entre autres, un dépassement des clivages sectaires, des logiques de mécénat et d’assistanat, pour la mise en place de modèles économiques qui soient à la fois durables et inclusifs, comment Haïti devra-t-elle se positionner afin de pouvoir profiter pleinement de ce nouveau créneau de développement qu’est le social business ?
Au regard des lignes précédentes et par rapport à ce questionnement, il n’en demeure pas moins que le social business offre de grandes opportunités en termes de développement à la fois économique et social. Un pays comme Haïti devra, à mon avis, se positionner en considération de trois éléments factuels, non exhaustifs:
1) Les populations pauvres représentent une cible potentielle pour les grandes entreprises et les multinationales du fait de la recherche naturelle de nouveaux marchés et de la réduction des charges liées à la main d’œuvre, mondialisation oblige ;
2) Le binôme Responsabilité Sociale (ou sociétale) des Entreprises (RSE) et d’Investissements Socialement Responsables (ISR) représentent à l’heure actuelle la carte de visite des grandes entreprises. Elles sont prêtes à tout pour être labélisées comme étant socialement responsables, dans un contexte marqué par le réchauffement climatique et l’extrême pauvreté, conséquences directes ou indirectes de leurs action pour plus d’un ;
3) Le commerce équitable est profitable à tous les pays qui prennent les bonnes dispositions et les mesures appropriées. Dire qu’Haïti présente d’énormes potentiels dans certaines des filières mises en avant dans ce cadre là n’est point un euphémisme.
Ainsi, le social business tel que le conçoit Yunus, qui souhaite d’ailleurs l’implanter en Haïti, présente de belles perspectives, surtout après le séisme dévastateur du 12 janvier 2010. Il faudra pour cela prendre les bonnes décisions en temps et lieux opportuns. Le salut ne viendra que de l’intérieur du pays. Le slogan « Haïti is open for business» restera un vœu pieux tant et aussi longtemps que les autorités constituées souhaitent le scander sur les toits du monde sans prendre en parallèle les dispositions qui permettraient de doter le pays des infrastructures de bases (minimales), susceptibles d’attirer les potentiels investisseurs, adeptes de la théorie BoP (the Bottom of the Pyramid) de C.K Prahalad.
Cette théorie postule en effet que lutter contre la pauvreté est source d’opportunités pour les entreprises multinationales. Elles trouveront à travers les cinq milliards de personnes vivant avec moins de 5 dollars par jour un marché juteux en termes d’opportunités commerciales et d’innovations. La taille de ce marché ouvre ainsi la voie à des spéculations de croissance économique importante et les multinationales pourront proposer un meilleur prix en contrepartie de services de meilleures qualités à ces populations. L’enjeu étant double : réaliser des profits tout en priorisant les besoins des plus démunis et redorer une image écornée par l’impact de l’accumulation démesurée des capitaux à la fois sur l’environnement, la biodiversité, le niveau élevé de la pauvreté dans le monde etc.
Ces multinationales ne pourront agir que dans le cadre de joint venture (exemple de la Grameen Danone Food, Grameen Veolia Water…) avec des entreprises locales tournées exclusivement vers la lutte contre la pauvreté. Ce qui n’exclut en rien les partenariats entre les entreprises classiques (locales/lucratives) avec le social business. C’est là, à mon avis, que devra se faire le positionnement si effectivement Haïti voudrait profiter de ce nouveau créneau de développement.
Que la bonne volonté affichée des uns se mue en actions concrètes et se laisse imprégner d’un zeste de pragmatisme. Ce, afin de concevoir, tout en mettant à disposition des Haïtiens les plus défavorisés des solutions spécifiques par rapport à leurs besoins respectifs d’une part, et, d’autre part, lancer un processus de dynamisation de l’esprit créatif pour la création du « social business » dans les domaines où Haïti présente effectivement des potentiels énormes.
Enfin, pourquoi le Gouvernement ne commencerait-il pas à définir des politiques visant la formation professionnelle des jeunes, pour ne pas se trouver dans l’obligation d’importer de la main d’œuvre qualifiée dans l’éventualité que les investisseurs étrangers, dans le cadre du social business, décideraient de franchir la porte ?
Jean Shanon Beaublanc
Master Droit, Economie, Gestion
Spécialité Entreprenariat des projets sociaux-économiques
Université Lumière Lyon II, France
Email : beaublanc81@yahoo.fr


Rubrique: Economie
Auteur: Jean Shanon Beaublanc | beaublanc81@yahoo.fr
Date: 22 Nov 2011
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