Serons-nous prêt en Haïti quand la prochaine crise alimentaire viendra?de Ronald Estrade| JobPaw.com

Serons-nous prêt en Haïti quand la prochaine crise alimentaire viendra?


La dernière crise alimentaire mondiale était la résultante de la hausse des prix, la spéculation, l’utilisation des denrées alimentaires pour fabriquer des carburants, l’augmentation des importations, la baisse de la production agricole, etc. Pour parer à la prochaine crise alimentaire mondiale. La République d’Haïti doit revitaliser les marges de sa productivité agricole c’est-à-dire renforcer la production de ses terres agricoles, transformer les produits obtenus par l’émergence d'une nouvelle grappe industrielle, commercialiser efficacement les produits obtenus et augmenter les droits de douanes sur l’importation des produits alimentaires.
Une crise est un changement brusque ou une aggravation brutale d’une situation déjà tendue. Une crise alimentaire est généralement causée par la hausse subite des besoins alimentaires de base d’une population et une diminution de l’offre des produits convoités, ce qui peut causer une instabilité, des prix à la hausse et même provoquer des émeutes. Dans le cadre de la République d’Haïti confronté à une économie déjà fragile, et une pauvreté systémique, n’importe quelle grande fluctuation des prix peut provoquer une contestation populaire. De nos jours, Haïti a un nouveau président et il faut se demander si le pays est actuellement mieux préparé pour faire face à la prochaine crise alimentaire mondiale. Si le premier ministre M. Alexis n’a pas survécu à deux semaines d’émeutes (Le Devoir, 2008), on se demande à combien de semaine résistera le prochain premier ministre de Michel Martelly?

Dans le cas de la crise alimentaire de 2008, les experts dans le domaine expliquent qu’elle est résultante de plusieurs causes. On peut citer entre autres : La hausse des prix, la spéculation, les agrocarburants, l’augmentation des importations, la baisse de la production agricole etc. Nous allons essayer d’analyser chacune de ces causes pour pouvoir comprendre comment protéger notre pays de ces éventuelles conséquences.

Hausse des prix des denrées alimentaires : Comme le disent Bricas et Bru (2008), la hausse des prix est causée par l’augmentation du pouvoir d’achat et la consommation alimentaire des pays émergents (Brésil, Chine, Inde), par un changement des habitudes alimentaires des villes du Sud par habitant (consommation de viande plus élevée), par l’augmentation de l’urbanisation (augmentation de la demande alimentaire et baisse de la production agricole), par des accidents climatiques (sécheresse, typhon, hiver plus rigoureux et mauvaises récoltes) et des pratiques humaines catastrophiques (coupe à blanc des forêts et l’érosion des sols). Tous ces facteurs vont engendrer une augmentation de la demande des produits alimentaires et une baisse de l’offre.

La spéculation sur les denrées alimentaires. Les fonds d’investissement recherchent des profits rapides et placent leurs liquidités aux endroits stratégiques. Après les premières hausses spectaculaires des denrées alimentaires, les spéculateurs ont massivement acheté des céréales, base de l’alimentation mondiale (Jauvert, 2008). La spéculation a plusieurs effets pervers dont les deux plus importantes sont la canalisation de la production vers la denrée recherchée par ces investisseurs d’où la production massive d’un seul produit par les agriculteurs d’un pays donné «la mono culture». Ce qui conduit tout droit vers l’importation massive des autres denrées pour combler les besoins de la population. D’autre part ces organisations de part leur pouvoir d’achat et leur réserve importante, prennent le contrôle des marchés internationaux et sont à mêmes de jouer sur les taux d’escomptes soit directement ou encore en jouant sur l’offre ou le débit des produits sur le marché un peu comme le font, pour le pétrole, les pays membres de l’OPEP. On pourrait en citer d’autres effets comme le gaspillage (dans le cas des produits ayant des dates d’expiration ou encore des produits jetés volontairement pour éviter une chute de prix), de la contamination (entreposage inadéquat, ou encore le transport de bactéries d’un continent à l’autre etc.).

L’utilisation des denrées pour produire des agrocarburants. Avec la flambée des cours du pétrole, plusieurs producteurs ont vendus leur récolte pour en faire des carburants et augmenter leur profit. Le FMI a évalué que 20 à 50% de la production mondiale de maïs ou de colza (plante dont les graines fournissent de l’huile) a été utilisé à des fins non alimentaire. Et plusieurs fournisseurs de maïs aux États-Unis vendent leurs denrées pour produire des carburants. Mais sous la pression inflationniste, plusieurs pays en voie de développement emboîtent aussi le pas. En effet, le «développement des agrocarburants n’a pas seulement pour effet de réduire à la famine les plus démunis, il se fait au détriment des droits sur les propriétés des communautés paysannes (pensons aux 4 millions d’hectares volés par les paramilitaires colombiens et replantés en palmiers à huile). Il se fait au détriment de la biodiversité, des dernières forêts primaires, comme en Indonésie où disparaissent les écosystèmes des orangs-outangs, des zones floristiques de l’Union européenne» (Gandais-Riollet et Lipietz, 2008). Là aussi on peut parler de l’incitation à pratiquer la «mono culture» avec les mêmes conséquences citées plus haut.

L’augmentation des importations des pays pauvres sous la pression des organismes internationaux. Plusieurs pays pauvres ont abandonnés leur souveraineté alimentaire, sous la pression des organismes internationaux pour produire des denrées d’exportation destinées aux pays riches. Qui à leur tour envahissent le marché des pays pauvres de produit alimentaire subventionné. Selon Gandais-Riollet et Lipietz (Ibid.) citant le dernier rapport de la FAO (2008-2017), ces pays exportateurs sous la pression des changements climatiques et «du conflit pour l’usage des terres, identifié par les 4 F : Food, Feed, Forest, Fuel (alimentation humaine, cultures pour l’alimentation du bétail, protection des forêts et de la biodiversité, et culture destinées à être transformées en carburant)» ont de la difficulté à fournir le marché mondial. Et de plus, les pays pauvres n’ont pas de marge de manœuvre pour faire face à une rareté des produits de première nécessité. Dans certains pays pauvres, l’importation vient aussi du manque d’éducation, de la corruption et de l’idiotie des dirigeants et des grands commerçants du pays qui se sont jetés tête baissée dans un attrape-nigaud sans aucune réflexion sur les conséquences d’une telle pratique sur l’économie locale. Il s’agit tout simplement d’un manque de patriotisme. De cette manière, les fonds nécessaire pour faire fonctionner l’économie locale sont expédiés vers d’autres pays pour soutenir leur économie, leur paysan, leur production. Tandis que leur compatriotes meurent de faim, n’ont pas d’argent pour l’éducation de leurs enfants etc.

La baisse de la production agricole des pays pauvres. Dans beaucoup de pays pauvres, les agriculteurs n’ont pas la possibilité d’avoir les savoir-faire, les technologies modernes, les intrants, du crédit agricole de leurs institution financière, des assurances et même des conseils des agronomes locaux. Avec un environnement dégradant, spécialement dans les pays tropicaux, l’augmentation du risque, ces agriculteurs se découragent en produisant moins ou en abandonnant leurs activités pour immigrer dans les villes. «Pour une petite partie du "tiers monde", les connaissances ne permettaient simplement pas d'assimiler les percées technologiques. Par ailleurs, l'information a été rapidement transmise vers les pays proches culturellement et géographiquement (même civilisation). De plus, une bonne partie de ces pays étaient déjà colonisés et n’avaient donc pas la maîtrise de ce type de décisions» (Bairoch, 1992). Mais en regardant de plus prêt, on se rend compte que la raison de la baisse est beaucoup plus simple que cela. Il s’agit d’un manque d’encouragement que ce soit monétairement ou moralement. Il faut prendre du recul pour comprendre que les paysans n’ont pas forcément besoin des équipements et des techniques de pointes pour produire. Généralement, la corruption empêche l’élaboration de plans cohérents pour encourager la production agricole. De plus les paysans qui produisent malgré tout n’ont pas de marché pour écouler leur production. Des fois, même si ce marché existe, les taux d’escompte ne leur permettent pas de couvrir les coûts de production. Ce qui est carrément démoralisant.

Après l’analyse des causes de la crise, nous pouvons essayer de dégager quelques pistes de solutions. Bien que des émeutes de la faim aient eu lieu presque simultanément en Haïti, au Bangladesh, en Égypte et au Burkina Faso, nous allons nous intéresser pour le moment au cas de la République d’Haïti. «Après une année 2008 difficile, marquée par des émeutes de la faim qui ont entraîné la chute du gouvernement de Jacques-Édouard Alexis, et par quatre tempêtes tropicales qui ont fait d’importants dégâts matériels et des centaines de morts, Haïti n’a eu que l’année 2009 pour tenter de se redresser. Un début de stabilisation a pu être observé» (Cairn.info, 2011) mais il y a eu le tremblement de terre de 2010 avec son lot de désespoir. Après l’application des mesures d’urgence, nous devons élaborer un plan pour redresser la situation et empêcher que les mêmes causes ne reproduisent pas les mêmes effets. Il faut commencer par augmenter les marges de productivité agricole et augmenter les droits de douanes sur l’importation des produits alimentaires en permettant aux paysans d’avoir accès aux semences, aux engrais, aux produits sanitaires, aux routes carrossables, aux moyens de transformation, à des informations sur le prix des denrées alimentaire etc. Pour mieux cerner la situation présente, faisons un retour en arrière d’abord sur la genèse de la République d’Haïti avant l’ère moderne.

Le 1er janvier 1804, Haïti devint la première république noire libre du monde, mais aucun pays n’appuya le nouvel État qui a dû payer par la suite 150 millions de francs-or en réparation à la France pour la reconnaissance de son indépendance. Cela ruina l’économie du nouveau pays. Après l’indépendance de l’île, le Traité de Paris rattacha Saint-Domingue à l’Espagne. En 1821, les Dominicains proclamèrent leur indépendance de l’Espagne. En 1822, le président Boyer d’Haïti annexa la République Dominicaine et tenta l’unification de l’île. Les mésententes entre les deux peuples provoquèrent des querelles diverses et, en 1844, une insurrection chassa la garnison haïtienne de Saint-Domingue (Leclerc, 2007).

Examinons maintenant, sa situation géographique et ses ressources.

Haïti est un pays tropical qui jouit d’un climat agréable réglé par les vents alizés venant de l’archipel des Açores, un groupe d’îles portugaises qui se trouve au centre de l’océan Atlantique. Ces vents se refroidissent au contact des montagnes et amènent fraîcheur et pluies (Le climat d’Haïti, Haiti-Référence, page consultée le 5 octobre 2009). En général, Haïti a une humidité relative de 72% et présente deux saisons : la saison des pluies qui va d’avril à octobre et la saison sèche de novembre à mars. Les pluies tombent en abondance au mois d’août et la saison cyclonique démarre habituellement au mois de juin. La République d’Haïti possède une superficie de 27 750 km² et une densité de 307.32 hab. /km² (Joseph, 2003). Son territoire occupe le tiers de la Grande terre avec plusieurs îles et archipels.

Qu’en est-il de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire d’Haïti ?

En ce qui concerne l’agriculture, il faut savoir que depuis la période coloniale, Bertrand d’Orgeron, le premier gouverneur de la colonie, favorisa la culture du tabac. Une crise du tabac a éclaté de 1670 à 1690 en Europe. De plus, autour de 1685, Jean-Baptiste Colbert, ministre de la marine, encouragea les colons français à faire aussi la culture de l’indigo et de la canne à sucre. C’est en 1790 d’ailleurs que les colons aidés des esclaves africains ont produit le maximum de richesse possible dans les circonstances. La colonie française fut surnommée alors la perle des Antilles. À cette période, on comptait des dizaines de milliers d’esclaves :

Ces malheureux qu’on estime à 500 000 vers cette période travaillaient de 4 heures du matin à 21 heures avec une brève coupure pour un déjeuner sommaire, sous l’œil impitoyable d’un commandement qui à la moindre négligence, au moindre signe de fatigue, les fouettaient durement (Metellus, 2003, p. 28).

La détérioration de l’agriculture ne date cependant pas d’hier. La technique (coupé tête boulé caille) de la terre brûlée (raser tout par le feu), pratiquée par Toussaint, Dessalines et d’autres libérateurs par la suite, eut de sérieuses répercussions sur les ressources matérielles du pays (Leclerc, Ibid.). De plus, il faut mentionner la gravité des cyclones tropicaux dont l’intensité des vents a atteint des vitesses de plus de 250 km/h. De tels cyclones ont ravagé le pays depuis les trente dernières années (Métellus, Ibid.). Malgré tout, le pays restera encore très productif même après Boyer.

Qu’en est-il de la géographie et son impact sur l’agriculture?

La géographie haïtienne est constituée de montagnes escarpées (Hoffmann, Gewecke, Fleischman, 2008), de plaines côtières, de vallées et d’un grand plateau. Au niveau des montagnes escarpées, il faut noter qu’une grande partie des villes de Port-au-Prince et Jacmel sont érigées sur les flancs des collines. Au niveau des plaines côtières, on peut citer la Plaine du Nord et la Plaine du Cul-de-Sac. Au niveau des vallées, on peut énumérer la Vallée de la rivière de l’Artibonite, la Vallée des Trois-Rivières, la Vallée de la Grand-Anse et la Vallée de Jacmel. Finalement, le grand plateau s’étend de la partie centrale du pays et l’Est, proche de la RD (plateau Central et le plateau de Fonds-des-Nègres). Les rivières descendent des montagnes et sont par contre impraticables pour la navigation commerciale. La plus longue et la plus grande est la rivière de l’Artibonite située dans le département du même nom. Seulement 30% du territoire est cultivable. La surface cultivée est de 8700 kilomètres carrés et celle non cultivée est de 3000 kilomètres carrés. La qualité et la couleur du sol sont variables. Le sol est de couleur rouge ou noire dans les mornes, alors que les salins sont de couleur noire ou blanche dans le littoral (Métellus, Ibid.). Jusqu’à présent, l’agriculture se fait encore selon les techniques de cultures archaïques en vigueur depuis le temps de la colonie. Les communes proches des montagnes escarpées du Nord et du Sud sont nombreuses et bien pourvues en eau, ce qui permet de faire la culture des matières premières alimentaires (café, cacao, orange, canne à sucre, sisal, fruits, citron, coton, bananes, tabac), de la chaux et de l’élevage (apiculture et autres). Les exploitations minières qui pourraient produire du cuivre, du zinc, de la bauxite, de l’argent, du plomb et des briquettes de lignite ne sont pas exploitées. Les communes proches des plaines côtières ont accès à de l’eau saumâtre et salée. Les gens y font de la pêche, de l’élevage du bétail, et ils préparent les huiles végétales et essentielles. Ils cultivent aussi des fruits, du café, de la canne à sucre, du cacao, du coton, du tabac. Les communes proches des vallées sont pourvues d’eau de surface et d’eau souterraine. Les citrons, la canne à sucre, le café et le cacao y sont cultivés. Les habitants des communes proches des plateaux (Central et de Fond-des-Nègres) cultivent le café, la canne à sucre, les oranges, le coton, le sisal, les fruits, le tabac et ils font l’élevage du bétail et d’abeilles (Joseph, 2003).

Malgré toutes ces difficultés, la République d’Haïti a pu s’épanouir en tenant compte de sa situation géographiques et de ses maigres ressources. Pour mieux analyser la situation, examinons quelques détails concernant les individus qui séjournent sur le territoire d’Haïti.

La population haïtienne est composée essentiellement de quatre groupes ethniques : les Noirs, les Mulâtres, les Arabes et une minorité de Blancs. Les Noirs qui composent les deux tiers de la population sont généralement défavorisés. Ils vivent en-dessous du seuil de la pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 2.5 dollars américains par jour. Les Mulâtres sont des descendants des anciens colons et des esclaves. Les Haïtiens d’origine arabe sont des descendants de plusieurs familles venant du Proche-Orient, majoritairement libanaises. Les pionniers arabes sont arrivés à Port-au-Prince vers la fin du XIXe siècle et travaillent généralement dans le commerce (Joint, 2006). La grande majorité des Bancs qui se sont établis en Haïti définitivement, sont issus de la guerre de l’indépendance avec la France (Théodat, 2003) ou des aventuriers et marchands européens qui voulaient fuir la tragédie socioéconomique de l’Europe. Théodat présente l’historique des divers groupes ethniques :

En Haïti vinrent surtout des Européens : des Français, des Allemands, des Anglais, et, dans une proportion croissante à la fin du siècle, des Syro-Libanais. Ces étrangers se livraient surtout au commerce dans les principaux ports du pays. Ils avaient le contrôle des échanges avec l’extérieur, aussi bien à l’importation, qu’à l’exportation (p. 231).

Une minorité de Noirs, de Blancs, de Mulâtres et les Arabes constituent l'élite économique du pays. Cette élite qui forme deux à cinq % de la population possède 44% des biens du pays.

J’ai passé la majeure partie de ma jeunesse en Haïti me dit souvent ma femme et il me semble que la situation n’était pas si catastrophique. En effet, comme plusieurs d’entre nous, ma femme a grandit sous l’administration des dictateurs Duvalier père et fils. Ils n’étaient pas de bons dirigeants, mais ils assuraient un minimum pour la sécurité alimentaire de la population. Les Syro-libanais qui contrôlent majoritairement l’importation et l’exportation avaient établis un réseau simple et efficace. Au début, ils avaient un système de prêt usuraire (crédit venant de particuliers) qu’ils accordaient aux marchands du bord de mer pour leur permettre d’acheter des marchandises. Le plus souvent, ces marchands achetaient leurs marchandises des entrepôts des créanciers. Ce qui doublait en peu de temps la capacité financière de ces nouveaux immigrants Syro-Libanais. En second lieu, ils avaient des camions qui approvisionnaient les entrepôts des villes. Ce qui donnait un flux à l’économie haïtienne. Les paysans avaient un peu d’argent pour envoyer leurs enfants à l’école et les citadins avaient accès aux produits frais du terroir. Durant cette période, le riz «Madame Gougousse» de l’ODVA (des grandes plaines irriguées de l’Artibonite) était considéré comme une denrée de qualité supérieure par rapport aux riz importé. Madame Gougousse® (marque de commerce enregistrée) n’origine pas d’Haïti. La compagnie faisait produire leur riz et faisaient la mise en sac dans la République d’Haïti tout comme elle le fait encore aujourd’hui avec la Thaïlande. La compagnie vend encore ses sacs de riz aux États-Unis mais ils ne sont plus «made in Haiti». Durant la période des dictateurs, les revenus de plusieurs milliers de familles haïtiennes (production et commercialisation) augmentaient. Mais il y a eu beaucoup de changements qui ont forcé la détérioration du réseau. En premier lieu, il y avait des vols et des malversations venant des intermédiaires qui diminuaient le bénéfice des Syro-libanais, qui à leur tour ont participé à l’importation des denrées alimentaires (logistique plus facile à gérer). Ensuite l’économie d’Haïti s’est transformée et les indicateurs sociaux démontrent une vulnérabilité accrue des plus défavorisés. La crise agricole, provoquée par le non renouvellement des méthodes de production archaïques, a donné lieu à une régression des denrées produites, une baisse de la fertilité des terres cultivables, une perte de compétitivité de l’agriculture par rapport aux denrées étrangères circulant librement sur le marché local à cause de la faible barrière tarifaire et douanière. Tout cela a porté un coup fatal à l’économie du pays. Depuis la chute de la dictature de Jean-Claude Duvalier en 1986, les économistes encouragent fortement la modernisation de l’économie haïtienne en passant entre autres par la privation des institutions de l’État. Mais jusqu’à présent cette stratégie n’a pas donné d’élan visible à l’économie du pays, selon le Bilan commun de pays (Nations Unies, 2000), qui témoigne du danger que court le pays par rapport à cette ouverture:

La stratégie d’ouverture brutale de l’économie en 1986/87 a causé de sérieux dégâts dans l’économie réelle […] Le pays est passé d’une économie de production à une économie de consommation […] Haïti est devenu le déversoir de produits dévalorisés […] L’ouverture des frontières est telle qu’Haïti se trouve aujourd’hui dans l’obligation d’augmenter ses droits de douane pour répondre aux normes du CARICOM (Ibid., p. xiii).

Comme mentionné antérieurement, pour corriger la situation actuelle et parer à une prochaine crise, il faut revitaliser les marges de productivité alimentaires (production, transformation et commercialisation) et augmenter les droits de douanes pour les produits alimentaires importés.

1- Au niveau de la production, il faut permettre aux paysans d’accéder aux savoir-faire de ceux qui ont réussi ailleurs (les Chinois par exemple), aux engrais, au crédit etc. Enfin le paysan doit avoir accès à tout ce qui va rendre son travail simple et efficace. C’est le temps d’introduire des coopératives de production. Ce serait un service qui permettrait aux paysans ou aux agriculteurs d’avoir accès à de l’équipement, des techniques, des semences et de l’information (période de pluie, analyse du sol, etc.) mais surtout d’un réseau pour écouler leur stocks. Ce serait aussi un moyen de ne pas investir de leur poche pour la production des denrées. Ils pourraient avoir le financement nécessaire et être payé comme un ouvrier dans les manufactures. Ces coopératives de production pourraient avoir un financement de l’international (ACDI ou FMI) qui sont souvent désireux d’aider avec un plan bien structuré. On pourrait suivre l’exemple des Farm Market aux États-Unis avec de la coopération, la centralisation des produits spécifiques et dans le but d’avoir des prix équitables et ne pas décourager les paysans de poursuivre leur travail pour se rendre en ville pour augmenter la ghettoïsation de la métropole.

2- Au niveau de la transformation, on peut faciliter l’émergence d'une grappe industrielle spécialisé dans l’agro-alimentaire. Ce qui permettrait de créer de l’emploi par des Petites et Moyennes Entreprises et de la formation au niveau de la formation professionnelle et technique. Un rapport de données recueillies pourrait permettre à une équipe de l’Institut National de Formation Professionnelle secondé par des experts (Fetpaw peut aider) de prioriser un programme polyvalent, axée sur la pratique et les nouvelles technologies. Habituellement, étudier au niveau de la FP équivaut à l'obtention probable d'un emploi dans son secteur d'activité. «Traditionnellement, la formation professionnelle constitue un tout avec un double objectif: qualification académique et liée à l'emploi » (Courbebaisse, 2001, p. 19).

3- Au niveau de la commercialisation, on peut créer un transport par relais (Morne vers petite ville) comme cela se pratique au Ghana ou en Côte d’Ivoire. Ensuite on aurait une route principale pour acheminer les produits vers les grandes villes. Et de là, la distribution vers les grands marchés d’alimentation se ferait de façon hygiénique et sécuritaire selon des normes établis par l’État.

4- Il est admis même au niveau du CARICOM que nos taxes sont trop basses. On pourrait l’harmoniser avec la République Dominicaine voisine et arrêter de recevoir les produits dévalorisés des autres pays. Et c’est probable que les Syro-libanais participeront au nouvel élan économique. Car ils recherchent des profits rapides et placent leurs liquidités aux endroits stratégiques comme d’habitude.

Si pour plusieurs responsables de l’ancien gouvernement et du présent il faut fournir des informations pour promouvoir et favoriser les investissements directs, il faudrait au lieu de se chamailler sur les politicailleries, établir un plan clair pour empêcher ou diminuer les effets dévastateurs de la prochaine crise économique sur ce petit pays et parer à la prochaine crise alimentaire mondiale, car elle viendra inexorablement nous atteindre.

En attendant mon prochain article, vous pouvez examiner les faits suivants de l’actualité mondiale et inciter vos représentants (sénateurs, députés et président) à faire face à leur responsabilité :

 Au niveau mondial, les terres cultivées régressent à cause de la dégradation des sols, la salinisation et la rurbanisation.

 Aux États-Unis, à cause fluctuation de l’économie, l’urbanisation absorbe plusieurs milliers de terres agricoles chaque année.

 Même si la superficie des terres arables du Canada ne varie pas, d’importants changements ont été observés dans leur mode d’utilisation notamment à des utilisations non agricoles.

 Durant l’inondation de la rivière Richelieu du Québec, plusieurs terres agricoles sont inondées et ne pourront pas produire de si tôt.

 L’Union Européenne est globalement dépendante pour ses approvisionnements agricoles et importe des denrées produites à l’extérieur de son territoire.

 Suite à la crise alimentaire de 2008, les spéculateurs réalisent l’importance des denrées alimentaires.


À la prochaine réflexion.

Remarque : Tout au long du texte, la forme masculine désigne aussi bien les femmes que les hommes.

Bibliographie
Bairoch, P. (1992). Le tiers monde dans l'impasse. Membres.multimania.fr
Bricas, N. et Bru, E. (2008). La crise alimentaire mondiale. Sciences.gouv.fr Le portail de la science. (http://www.science.gouv.fr/fr/dossiers/bdd/res/2864/la-crise-alimentaire-mondiale/)
Cairn.info. (L’état du monde 2011). République d'Haïti - Bilans annuels de 1983 à 2011. Éditeur : La Découverte.

Courbebaisse, P. (2001). Guide pratique de la formation et de l'insertion professionnelle : Propositions pour simplifier la formation. Lyon : Éditions Juris.
FAO. Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2008-2017.
Gandais-Riollet, N. et Lipietz, A (2008). Pauvreté, crise du climat et agrocarburants. Éditeur Assoc. Multitudes.

Haïti-Référence : http://www.haiti-reference.com. (Page consultée le 17 août 2009).
Hoffmann, L.-F., Gewecke, F. et Fleischman, U (dir.) (2008). Haïti 1804 – Lumières et ténèbres: impact et résonances d’une révolution. Madrid: Iberoamericana.

Jauvert, V. (2008). Les sept causes de la crise alimentaire. Le Nouvel Observateur.
Joseph, P. (2003). Dictionnaire historique et géographique des communes d'Haïti. Montréal: Éditions Konbit.
Joint, L. A. (2006). Système éducatif et inégalités sociales en Haïti-Le cas des écoles catholiques. Paris: L'Harmattan.

Leclerc, J. (2007). Dans Trésor de la langue française du Québec, site téléaccessible à l’adresse : http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amsudant/haiti.htm

L’Express.fr (2008). Le Parlement haïtien inflige un revers au président Préval. AFP -Publication du 13 juin 2008. (http://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique/le-parlement-haitien-inflige-un-revers-au-president-preval_510958.html?p=2)
Le Devoir (2008). Haïti - Préval désigne un nouveau premier ministre. Publication du 28 avril 2008. (http://www.ledevoir.com/international/amerique-latine/187233/haiti-preval-designe-un-nouveau-premier-ministre)

Métellus, J. (2003). Haïti : une nation pathétique. Paris : Éditions Maisonneuve et Larose.

Nations Unies (2000). Haïti, Bilan commun de pays. Port-au-Prince: Bibliothèque Nationale d’Haïti.

Théodat, J.-M. D. (2003). Haïti République Dominicaine : une île pour deux, 1804-1916. Paris: Karthala.



À bientôt,

Cet article a nécessité la collaboration spéciale de Roger Jean-Joseph (B.A.A.), spécialiste en démarrage d’entreprise et de Francis Champion (DESS. Éd.), conseiller pédagogique en formation professionnelle, formateur en hygiène et salubrité et enseignant en cuisine.


Rubrique: Divers
Auteur: Ronald Estrade | restrade@hotmail.com
Date: 23 Juin 2011
Liste complète des mémoires et travaux de recherche