Haïti : synthèse Heures de gloire et heures de honte de Destin JEAN| JobPaw.com

Haïti : synthèse Heures de gloire et heures de honte


HAÏTI : SYNTHESE
HEURES DE GLOIRE ET HEURES DE HONTE.

18 novembre 1803 : date magique et mémorable.
18 novembre 1803 : Vertières ! Victoire colossale et sans précédent.
18 novembre 1803 : Fin de la Guerre de l’indépendance conquise, symbolisant le triomphe de la liberté et de l’égalité des races humaines.

Dans les annales de l’histoire magnifique de notre pays, cette date se révèle particulièrement importante eu égard à sa haute portée symbolique. Des noirs et des mulâtres/ esclaves et affranchis, pour la plupart dénués de toute culture, ont réussi à faire capituler l’armée française de l’époque, instrument au service du maintien de l’esclavage, au mépris des idéaux de justice et de liberté ayant guidé le monde des idées au XVIIIe siècle en Europe et qui, finalement, allaient être gravés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Les esclaves et affranchis/ noirs et mulâtres de Saint-Domingue ont compris l’impérieuse nécessité de faire l’union sacrée autour de Dessalines en vue de combattre, par la dialectique des armes- l’arme de la dialectique n’ayant pas donné de résultat avec Toussaint- le système esclavagiste et raciste perpétué au mépris des droits de l’homme déjà reconnu en Europe et faisant un écho retentissant en France.
En effet, la victoire finale arrachée le 18 novembre 1803 ne fut pas uniquement celle des noirs et mulâtres de Saint-Domingue contre les colons blancs, mais aussi et surtout, la victoire des droits de l’homme sur l’oppression, l’exploitation et le racisme. Nos Aïeux ont voulu et réussi à inculquer aux autres- ou les rappeler peut-être – que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
Donc, lorsqu’en ce grand jour de notre histoire de peuple et de celle de l’humanité, Rochambeau, suite à sa capitulation, a été contraint de livrer le Cap à Dessalines, l’humanité a fait une conquête très significative des droits de l’homme.
Dessalines et son haut état-major ont bien compris la portée de l’immense victoire qui vient d’être arrachée. C’est ce qui explique leur décision de prendre leur temps et de célébrer la proclamation de l’indépendance le 1er janvier 1804. Ils ont aussi redonné à Saint-Domingue son nom d’indien « Haïti », car le nom de Saint-Domingue rappelle le système colonial et l’esclavage qu’ils ont combattu de toutes leurs forces.
Si les Européens ont baptisé le XVIIIe siècle, « siècle des Lumières », le 1er janvier 1804, par contre, a été le jour de la célébration de la victoire de la lumière sur l’obscurantisme. En somme, ce fut un moment de gloire dans notre histoire de peuple et un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité.
Le 1er janvier 1804, nous, Haïtiens, avons hardiment donné le ton. Pendant longtemps, nous n’étions pas très aimés à cause de cela. Cependant, les autres allaient finalement emboîter le pas. C’est ainsi que l’Angleterre de John Locke a aboli l’esclavage en 1833 ; la France de Voltaire et de Rousseau l’a aboli en 1848 ; les Etats-Unis d’Amérique dont le Congrès proclame l’indépendance depuis le 04 juillet 1776 ont aboli l’esclavage chez eux en 1865. De plus, ce n’est qu’en 1948 que la Communauté internationale allait condamner l’esclavage dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Plus tard, la Convention du 07 septembre 1956, conclue à l’initiative du Conseil économique et social des Nations Unies, allait condamner l’esclavage de manière plus sérieuse.
Tenant compte de tout ce qui précède, vous l’aurez compris, le commerce des esclaves qui fut abominable et inacceptable déjà aux yeux de nos Aïeux était pourtant une activité licite et même une institution d’Etat. D’ailleurs, son érection en infraction internationale a pris du temps et fut difficile.
Toutefois, nous l’avons combattu depuis fort longtemps. Nous l’avons combattu pour nous-mêmes, mais nous avons aussi aidé d’autres peuples à le combattre. C’est que nous avons toujours cru au principe de l’égalité souveraine des Etats, au droit des peuples à l’autodétermination et à l’égalité des races humaines. C’est dans cette perspective combien heureuse que l’Empereur Jacques 1er a accueilli et accordé son appui à l’officier Vénézuélien Miranda qui voulait libérer son pays de l’occupation espagnole. Puisque ce dernier a échoué, plus tard, Pétion aida le Vénézuélien Simon Bolivar à libérer son pays de l’occupation espagnole. Pétion lui donna non seulement des conseils, mais aussi une aide matérielle. De plus, 400 volontaires haïtiens qui n’avaient tout naturellement pas peur de se battre contre l’esclavage l’ont raccompagné jusqu’à destination. Ainsi, Bolivar a-t-il pu proclamer l’indépendance du Vénézuela, de la Bolivie, du Pérou, de l’Équateur et de la Colombie. C’est en ce sens que Président Pétion est d’ailleurs vénéré en Amérique latine comme le Père du Panaméricanisme et sa statue est fièrement dressée à Caracas.
La petite histoire raconte qu’en remerciant Pétion, Bolivar lui dit : « Dois-je faire savoir à la postérité qu’Alexandre Pétion est le Libérateur de ma Patrie ? » - N’en faites rien, lui répondit Pétion. Tout ce que je demande est l’abolition de l’esclavage. Promettez-moi seulement de libérer les esclaves partout où vos troupes seront victorieuses…
D’aucuns pourraient s’exclamer : Mais quelle grandeur !

 Alors que, jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, le pasteur noir américain Martin Luther King et l’homme politique américain Malcom X ont lutté jusqu’à payer le prix de leur sang pour l’intégration des noirs américains dans la société américaine ;
 Alors que l’Allemagne Nazi se perd dans l’indécence et l’absurdité la plus abjecte avec son apologie du racisme et ses barbaries les plus indescriptibles dans les camps de concentration ;
 Alors que l’écrivain et diplomate français Gobineau a écrit ses thèses racistes dans son « Essai sur l’inégalité des races humaines », lesquelles thèses ayant d’ailleurs servi de référence aux théoriciens du racisme germanique ;
 L’un de nos intellectuels de bel eau, en l’occurrence Anténor Firmin, a donné la réplique en publiant son œuvre intitulé : De l’égalité des races humaines.

Donc, il va sans dire que nous avons toujours plaidé et lutté en faveur de l’égalité des races humaines et des droits inaliénables et imprescriptibles à tout être humain sans considération notamment de religion, de sexe ou d race. Ainsi, dans l’accession de Barack Obama à la Maison blanche, doit-on voir la réalisation du rêve américain ou l’aboutissement de la lutte antiraciste menée par des esclaves dans la colonie française de Saint-Domingue ?

En tout cas, nous étions présents à Paris le 10 décembre 1948 pour l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’on n’oubliera pas au passage le rôle symbolique qu’a joué l’intellectuel haïtien de réelle valeur Emile St-Lot comme rapporteur de la commission à la l’Assemblée générale.

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Par ailleurs, pour consolider l’indépendance conquise au prix du sang, nos Aïeux ont fait construire des forts dont les ruines témoignent, aujourd’hui encore, du génie haïtien. On ne saurait non plus oublier le Palais aux 365 portes, le Palais de Sans-souci et la merveilleuse Citadelle Laferrière. Ne dit-on pas d’ailleurs de cette dernière qu’elle est l’une des rares merveilles du monde ? C’est le symbole de l’imagination, de la fierté et de la résistance de l’haïtien.

En outre, nous sommes le premier dans la zone à être électrifié et à avoir des chemins de fer.

En fait, tout cela pour rappeler que nous avons connu des moments de gloire dans notre histoire de peuple et nous devons en être fiers. Cependant, notre histoire de peuple est tout aussi bien jalonnée de faits dont nous devrions en être peu fiers. Nous en sommes conscients car nous ne faisons pas l’autruche.

En effet, à côté de ces belles pages de notre histoire, nos élites ont passé tout leur temps à se disputer le pouvoir après l’indépendance. L’échiquier politique a été toujours pavé de belles têtes. Les uns échouent, tandis que les autres réussissent dans leur quête du pouvoir comme fin en soi, car les intérêts supérieurs de la Nation ont été presque toujours le cadet de leur souci.

-Le premier coup de massue a été l’assassinat de l’Empereur Jacques 1er, Père fondateur de la Nation. L’union sacrée des noirs et des mulâtres qui a rendu possible le 18 novembre 1803 à Vertières n’a pas pu s’inscrire dans la durée. Des intérêts de clan divergents et multiples allaient rapidement prendre le pas sur l’intérêt général. Malheureusement, depuis, cette fâcheuse situation devient une constante historique. Nous nous unissons toujours pour combattre, mais jamais pour construire.

-Seulement six (6) ans après l’indépendance, le pays est déjà divisé en trois (3) Etats :
• Pétion dans l’Ouest
• Christophe dans le Nord
• Rigaud dans le Sud.

-De plus, la soif démesurée de pouvoir des élites a encore occasionné par la suite d’autres scissions du pays.
-Nous avons acheté la reconnaissance de notre indépendance auprès de la France sous Boyer. De plus, les Haïtiens n’oublieront jamais l’incident Rubalcava sous Géffrard, l’affaire Basch sous Nissage Saget ou encore l’affaire Lüders sous Tirésias Simon Sam.
-De 1870 à 1883, deux partis politiques ont dominé la scène politique en Haïti : le Parti national et le Parti libéral. Chacun de ces derniers avait son propre slogan et priorité. Eu égard au niveau d’instruction et du rayonnement des tenants de ces partis, le peuple était en droit d’espérer une modernisation de la vie politique en Haïti. Cependant, les élites ne s’entendent jamais pour mener le pays au bon port. Les intellectuels de grand calibre qui constituaient le board de ces partis ont préféré polariser le pays avec leur idéologie. Pourtant, l’instruction et l’éducation civique des masses pour comprendre le sens du vote aurait permis facilement que l’exercice du pouvoir politique aille aux plus capables pour le plus grand bien du plus grand nombre.
Malheureusement, cette polarisation a occasionné des bains de sang et des guerres civiles dans le pays. Est-ce le cas de rappeler que nous canalisons toujours nos énergies pour combattre et jamais pour construire ? En tout cas, depuis après l’indépendance, nos querelles de chapelle ont toujours eu gain de cause sur les intérêts supérieurs de la Nation.
-Du reste, avec le Piquets dans le Sud et les Cacos dans le Nord, le pays a été une nouvelle fois le théâtre de multiples guerres civiles. C’est que nos élites dirigeantes ont presque toujours négligé nos valeureux paysans qui sont d’ailleurs censés être « en dehors » ; donc en dehors des priorités des élites dirigeantes. C’est peut-être l’une des causes pour lesquelles la décentralisation effective n’a jamais pu être déclenchée.
On dirait que nos élites nourrissent des haines implacables les unes à l’égard des autres jusqu'à ne pas pouvoir s’entendre sur le minimum vital qui serait les intérêts supérieurs de la Nation.
-Par suite, nous avons continué nos luttes fratricides jusqu’au coup de grâce le 28 juillet 1915 : c’est la déception la plus avilissante. Des marines américains, sous les ordres du Président Woodrow Wilson, foulent le sol national pour prendre les rênes de cette « petite entité chaotique ingouvernable ».
L’histoire a certainement retenu le nom de Charlemagne Péralt, celui de Benoit Batraville et le groupement contre l’occupation dénommée « L’union patriotique » présidé par Georges Sylvain. Cependant, nous étions aussi bien malheureux de constater que, sous l’occupation américaine, les Présidents Dartiguenave, Borno et Vincent ont terminé leur mandat. Tandis que sur un total de 26 chefs d’Etat, de Dessalines à Vilbrun Guillaume Sam, 2 seulement ont pu achever leur mandat.
-En 1937, sous la présidence de Vincent, des milliers d’haïtiens furent assassinés aux frontières haïtiano-dominicaines sur ordre du dictateur dominicain avéré Rafael Trujillo avant d’être lui-même plus tard assassiné par ses propres concitoyens. Le comble a été l’acceptation par Vincent d’une maudite indemnité compensatoire. A ce moment, l’orgueil national et la conscience collective ont pris un nouveau coup.
Pourtant, la République d’Haïti et la République dominicaine sont deux Etats indépendants partageant une même île. En dépit de cette proximité géographique, les ressortissants de ces deux Etats, ne cessant de nourrir aujourd’hui encore des contentieux historiques les uns à l’égard des autres, se comportent comme des frères ennemis. Qui plus est, sur le plan socio-économique voire politique, le déséquilibre est flagrant entre ces deux Etats et ce statu quo ne fait qu’envenimer l’état de tension permanent régnant sur l’île.
Ce déséquilibre explique également le déplacement massif de ressortissants haïtiens vers la République dominicaine dans l’espoir de trouver une prétendue vie meilleure. Cependant, les conditions d’existence des travailleurs migrants haïtiens laissent à désirer. Ils contribuent à faire fructifier l’économie dominicaine et parallèlement leurs conditions de travail sont pour le moins infrahumaines ; mis à part les décapitations, exécutions sommaires et attitudes discriminatoires dont ils font régulièrement l’objet. Tout cela s’explique par les raisons évoquées plus haut mais aussi et surtout par le laxisme de nos élites dirigeantes.
-En définitive, nous ne saurions nous enorgueillir de telles situations. D’autant que nous avons comme impression d’avoir successivement raté 1946, 1957, 1986 et 1990. De plus, ne nous sommes pas profondément humiliés en 1994 et en 2004 ?
Enfin, pour répéter l’autre : « On prend le pouvoir avec les masses mais on dirige avec l’élite éclairée du peuple ». En conséquence, les élites qui sont censées être le guide du peuple doivent cesser de lui faire rater les grands rendez-vous de l’histoire. Mais, pour y parvenir, elles doivent d’abord se rassembler, se reconnaître et se mettre d’accord sur le minimum vital qui n’est autre que les intérêts supérieurs de la Nation. Ils doivent enfin primer sur les querelles de groupe ou de classe. Les élites ont un devoir de responsabilité envers eux-mêmes, envers le pays et envers les générations futures. Par voie de conséquence, il y a nécessité d’un rassemblement pour construire. Et, nous, jeunesse, force vive du pays, le présent nous intéresse et l’avenir nous appartient !

Discours présenté le 18 novembre 2009 au restaurant Coin d’ciel
(Cabinet Max Morpeau, Bois-Verna) lors de la prise de contact
de GAPA (Groupe d’Action publique Ayiti) par Destin Jean.
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Rubrique: Divers
Auteur: Destin JEAN | destinjuriste@yahoo.fr
Date: 10 Jan 2010
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