La pollution de l’eau souterraine dans les zones urbaines à constructions anarchiques. Cas de La Savane, bidonville de la ville des Cayes.de Joseph Antoine BENECHE| JobPaw.com

La pollution de l’eau souterraine dans les zones urbaines à constructions anarchiques. Cas de La Savane, bidonville de la ville des Cayes.


RESUME
Une étude physico-chimique et bactériologique des eaux souterraines a été réalisée à La Savane, un des plus grands bidonvilles de la république d’Haïti rattachée à la ville des Cayes. La position géographique de La Savane et ses conditions socio-économiques rendent ses réserves aquifères fortement vulnérables à la pollution. Ce quartier d’une superficie de 0.7 km2 et d’une population de 14988 habitants (densité de 20000 habs / km2) est alimenté en eau pour ses besoins domestiques surtout à partir des nappes souterraines par pompage. On a recensé et localisé cinquante-neuf (59) puits dont vingt (20) forages et trente-neuf (39) puits ordinaires. De cet ensemble, sept (7) puits dont quatre (4) forages et trois (3) puits ordinaires ont été retenus pour la conduite des analyses. Ces dernières ont révélé que la nappe superficielle alimentant les puits ordinaires présente une certaine pollution physico-chimique (ions Ca2+ et Mg2+) et une forte pollution bactériologique à partir de coliformes totaux et fécaux, ce qui rend l’eau impropre à la consommation. La nappe profonde, qui approvisionne les forages, est également polluée physico-chimiquement (ions Ca2+ et Mg2+) et bactériologiquement (coliformes fécaux) à un degré moindre mais rendant aussi l’eau impropre à la consommation sans traitement. La pollution fécale augmente chaque saison pluvieuse.
L’origine des pollutions peut être attribuée à diverses causes : défaut d’assainissement et de collecte des ordures ménagères, transfert de polluants à partir des couches superficielles, conditions de puisage et structure des installations. À terme, l’utilisation de la nappe phréatique pourra s’accroître et le risque peut augmenter constituant un danger véritable pour la population.
Ainsi donc ce travail préconise une campagne de sensibilisation de la population sur la situation actuelle afin de prendre les précautions nécessaires pour éviter l’aggravation de la situation ; la mise en place par le SNEP d’un système d’adduction potable fiable couvrant les besoins de la population afin de freiner la course au forage ; une collecte efficace des ordures ménagères et autres déchets et enfin une surveillance de la nappe par des études tant qualitatives que quantitatives.
Mots clé : nappe souterraine, constructions, latrines, pollution chimique, pollution microbiologique.

La pollution de l’eau souterraine dans les zones urbaines à constructions anarchiques. Cas de La Savane, bidonville de la ville des Cayes.

I Introduction
Dans les pays développés la forte urbanisation qui résulte de l’accroissement et du déplacement de la population s’accompagne toujours d’un développement économique qui facilite, entre autres, une couverture adéquate des services sociaux de base. Par contre, dans les pays sous-développés, la croissance démographique brutale associée aux conditions économiques fragiles entraînent une urbanisation incontrôlable provoquant d’énormes problèmes d’infrastructures et d’approvisionnement de services par l’émergence de quartiers précaires et l’exode rural. La Savane, bidonville rattaché à la ville des Cayes, présente des caractéristiques fragiles par sa géographie et ses conditions socio-économiques qui rendent ses réserves aquifères vulnérables à la pollution.
Une étude a été menée en vue de déterminer qualitativement et quantitavement les pollutions éventuelles induites par l’insalubrité, l’état général des constructions et les latrines en particulier.

II Présentation de la zone
L’un des plus grands bidonvilles d’Haïti, La Savane est rattachée à la ville des Cayes, chef lieu du département du sud. Partant de la rue Simon Bolivar, elle s’étend sur toute la partie orientale de la ville et mesure environ 0.7 km2. Selon IHSI, la population est de 14988 habitants soit une densité supérieure à 20000 habs/ km2.
Bâtie sur une plaine alluviale, elle reçoit une moyenne annuelle de pluie de 1719 mm et un minimum de 1160mm (1960-1991). C’est une zone plate inondable en saison pluvieuse. L’eau souterraine est très proche de la surface du sol et apparaît a environ un(1) m de forage


III Méthodes
3.1 Les enquêtes
Après des recherches bibliographiques, une visite a été effectuée en vue de rencontrer les responsables du MSPP , du SNEP et de la Mairie des Cayes. Ensuite, une enquête a été menée auprès des propriétaires de puits. Cinquante–neuf (59) puits dont vingt (20) forages et trente-neuf (39) puits ordinaires ont été recensés et localisés à l’aide d’un GPS Garmin dans la projection NAD 27 (carte d’ occupation de la zone en puits en annexe).
En fonction des aménagements urbains : état et ancienneté des constructions, niveau d’insalubrité des rues, La Savane a été divisée en deux blocs : Une zone où les conditions socio-économiques et les aménagements urbains sont plus critiques. Cette zone présente en gros les caractéristiques de tous les bidonvilles et une autre zone où les conditions sont relativement bonnes ayant pratiquement les caractéristiques de la ville (carte de délimitation en annexe).

3.2 Le choix des sites de prélèvement et modalités de prélèvement
Le choix des sites de prélèvement a été guidé par la profondeur l’usage le bloc . La campagne de prélèvement s’est réalisée pendant la période allant de juillet à août comprenant la petite saison sèche allant de mi-juin à mi-juillet et la saison pluvieuse allant de mi-juillet à novembre. Les prélèvements ont été effectués à l’aide de gallons et pots collecteurs stérilisés. Les échantillons ont été conservés en glacière réfrigérée pendant le transport jusqu’au laboratoire où les analyses ont été effectuées.

3.3 Les analyses
Les paramètres physico-chimiques
Certains paramètres physico-chimiques ont été déterminés par lecture directe. Tel a été le cas du pH, de la conductivité électrique. Le pH est mesuré à l’aide du pH-mètre HACH sensION2. Le conductimètre HACH (multifonction) a été utilisé pour mesurer la conductivité électrique (CE), la salinité et les solides totaux dissous (STD). La dureté et alcalinité sont obtenues par titrage. Pour la dureté totale, dans un mélange proportionnel d’échantillon et d’eau distillée on ajoute la solution tampon et quelques gouttes d’Eriochrome noir puis on verse de l’EDTA 0.01M jusqu’au virage du violet au bleu foncé.
Pour la détermination de la dureté calcique, la solution tampon et l’Eriochrome noir sont remplacés par Du NaOH 1N et du purpurate d’armonium.
L’alcalinité au phénol est d’abord déterminée. Le titrage alcalimétrique complet permet de déterminer les hydroxydes, carbonates et hydrogénocarbonates.
Le chlore combiné est dosé à l’état de chlorure par le nitrate d’argent, en présence de chromate de Potasssium.
Les paramètres microbiologiques
Ils ont été déterminés en filtrant des aliquotes homogènes de 100 ml dilués dans de l’eau stérile de façon à obtenir un nombre d’unités formant colonie (UFC). Chaque aliquote a été filtrée sur une membrane dont le diamètre des pores était de 0,45µm Les membranes ont ensuite été placées dans des milieux sélectifs pendant 24 heures à 37 ° C et 44° C. Les colonies ont été dénombrées selon une grille fournie par le fabricant. On a utilisé les milieux suivants : m Endo Agar et m FC Broth Base et pathoscreen médium qui permettent de dénombrer respectivement les germes totaux, les coliformes totaux et fécaux et la possibilité de typhoïde.

IV Les résultats
La salinité
En saison sèche comme pluvieuse, elle ne varie pas avec le bloc de prélèvement. Cependant, elle semble varier avec la profondeur, se stabilisant autour de 0.1 % NaCl pour les forages alors que les puits ordinaires présentent une concentration au moins quatre (4) fois plus, hormis P38 pendant la saison sèche.
La conductivité
Comme la salinité, elle varie en profondeur. En effet, les forages affichent une moyenne de 329,25 μS/ cm pendant la saison sèche et 336,75 μS/ cm pendant la pluvieuse alors que les puits ordinaires dépassent grandement avec 1292 μS/cm pendant la saison sèche et 1264,33 μS/cm pendant la pluvieuse.
Le pH
Pendant la saison sèche il ne varie pas grandement ni avec la profondeur ni avec le bloc de prélèvement. Tous les sites affichent un pH plutôt alcalin avec une moyenne autour de 8. Alors que pour la saison pluvieuse la moyenne semble tourner autour de 7,4. la variation semble être inter saisonnière.
La turbidité
Pour la saison sèche comme pour la pluvieuse, elle varie avec la profondeur. La variation inter saisonnière étant assez faible.
La dureté totale
Indépendamment de la saison, elle varie avec la profondeur avec une moyenne de 184,5 mg/L CaCO3 pour les forages et 330,67 mg/L CaCO3 pour les puits ordinaires pendant la saison sèche alors que pendant la saison pluvieuse les forages présentent 164 mg/L de CaCO3 et les puits ordinaires 244 mg/L CaCO3. La variation inter saisonnière est très faible.
Les chlorures
Pendant les deux saisons, la concentration varie avec la profondeur. Pour les puits ordinaires, elle est très élevée alors les forages présentent une concentration très faible.

Matières dissoutes
Avec une très faible variation inter saisonnière la teneur varie avec la profondeur.
Hydrogénocarbonates
Pendant la saison sèche, elle varie avec la profondeur alors qu’elle semble ne pas varier pendant la saison pluvieuse ; elle est en moyenne autour de 164mg/ L CaCO3.
Résultats microbiologiques
La concentration en Coliformes varie très grandement avec les saisons et avecla profondeur.Pendant la saison sèche les forages presentent un taux élevé de Coliformes (Totaux et fécaux). Toutefois les puits ordinaires présentent des amas. Aussi pendant la pluvieuse tous les puits présentent des amas fécaux et totaux.

V Discussion
De l’enquête réalisée, il résulte que plus de 95 % de la population de la Savane est actuellement approvisionnée en eau par les puits ordinaires et forages des nappes souterraines. La protection de la qualité de ces eaux est donc un objectif prioritaire.
Les résultats confirment la pollution générale des nappes souterraines de la Savane des Cayes, à des degrés divers, en fonction de la profondeur des aquifères et de la variation saisonnière. Les 39 puits ordinaires renseignent sur le niveau superficiel de l’aquifère. Les 20 forages informent sur la qualité des eaux de la nappe profonde. L’extension de l’étude sur deux saisons confirme la variation saisonnière de la pollution. La distribution des sites permet d’étendre les observations à l’ensemble de la zone d’étude.
La pollution bactériologique est largement confirmée dans tous les puits et forages. Les mesures de conductivité électrique, de concentration en chlorures, en bactéries pratiquées montrent que la pollution touche les différentes couches de la nappe phréatique de la zone d’étude et ne peut être seulement imputée à une contamination locale des eaux des puits liée aux conditions d’exploitation. Toutefois, n’ayant pas procédé à un vidange et chloration des puits, il devient difficile de différencier la pollution induite par les conditions d’exploitation de celle effective de la nappe.
Cependant, compte tenu du mode de gestion des déchets, il importe de croire que les facteurs de pollution découlent donc de problèmes majeurs et tiennent essentiellement au manque de salubrité. Ils sont très probablement liés à l’absence de dispositif d’assainissement approprié à la protection des eaux souterraines et au défaut de collecte des ordures ménagères. En matière d’assainissement individuel, les équipements correspondent dans la grande majorité à des latrines et puisards très mal entretenus et touchant la nappe. Aussi, la majorité des maisons de la zone I n’ont pas de latrines avec comme conséquence que les besoins physiologiques sont faits au bord de la mer et des rives. La gestion des ordures ménagères n’est pas assurée : les quelques camions servant à la collecte des ordures ménagères ne sont pas suffisants; le ramassage n’est pas assez fréquent pour empêcher la décomposition sur place des ordures. De plus, ces dernières servent à combler les voies ravinées par le ruissellement des eaux de pluies. Ainsi des dépotoirs sauvages se sont ainsi créés au cours des années.
Si les origines potentielles de la pollution des nappes superficielles ne sont pas clairement identifiées, on ne peut pas non plus déterminer les mécanismes de transfert de la part de pollution effective de la nappe. Toutefois, selon la LGL l’infiltration directe de la pluie dans les aquifères alluviaux de la plaine des Cayes, a été estimée à environ 2m3/s Le flux souterrain total a été estimé à près de 8.5 m3/s, Ceci souligne a priori la facilité de recharge directe et verticale de la nappe par les eaux pluviales. Dans ce cadre d’hypothèses cohérentes, les échanges verticaux entre nappe et surface paraissent abondants, et les polluants entraînés par les eaux pluviales transitent probablement au moment de l’infiltration des eaux pluviales et ceci assez facilement. Aussi pour les eaux usées, l’hypothèse d’un transfert vertical est-elle très vraisemblable. Il est probable que les eaux ménagères et les eaux de vannes s’infiltrant dans le sol parviennent à la nappe phréatique sans avoir pu bénéficier d’une filtration efficace, et occasionnent une multitude de pollutions ponctuelles.

VI Conclusion
Tout compte fait, la pollution bactériologique de la nappe profonde est très inquiétante car elle semble signifier une insalubrité générale des eaux souterraines de la ville due à la percolation verticale des polluants contenus dans les niveaux superficiels. Tout ceci semble confirmer les hypothèses selon lesquelles les constructions de fortune de La Savane entraînent la pollution des réserves aquifères et que le niveau de pollution est tel que l’eau est impropre à la consommation. Toutefois certaines déterminations telles les nitrates et les nitrites n’ont pas pu avoir lieu faute des limitations imposées par la disposition de réactifs. Enfin différentes enquêtes menées avaient déjà souligné la pollution des nappes souterraines de certaines zones du pays surtout dans les zones à risques comme les bidonvilles avec, pour conséquence, des risques sanitaires inquiétants. Cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a été effectuée en vue de quantifier la pollution de l’eau souterraine. Notre étude permet, de ce point de vue, de préciser l’importance de la pollution en quantité et en qualité.


VII Bibliographie

ActionAid, (2002).Stratégies d’intervention en milieu urbain

ANGERVILLE, R.; EMMANUEL, E.; NELSON, J. et SAINT-HILAIRE, P.( 1999) Évaluation de la concentration du fluor dans les ressources en eau de la région Centre-Sud d’Haïti. Rapport de recherches du LAQUE, anneé académique 1998-1999. Editions duLAQUE, Presses de l’Université Quisqueya, Haiti,
CADET, C.L. (1996.) Crise, pauvreté et marginalisation dans l’Haïti contemporaine. UNICEF. 146 pages
CHIPPAUX J P et al (2002), Etude de la pollution de l'eau souterraine de la ville de Niamey, Niger.

COPIN A., 2005. Support du séminaire Analyse Chimique Appliquée à l’Environnement. Programme Master Ecotoxicologie Environnement et Gestion de l’Eau. Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques de Gembloux/ Université Quisqueya.

DIALLO M. S., Contribution à l’étude de la qualité des ressources en eau dans la zone de Dindefello ( Région de Tambacounda- Département de Kedougou) Sénégal, 9p

EMMANUEL E., 2001. Caractérisation analytique des effluents hospitaliers et évaluation des risques écotoxicologues. DEA, INSA de Lyon.
EMMANUEL E., 2004. Evaluation des risques sanitaires et écotoxicologues liés aux effluents hospitaliers. Thèse de Doctorat. Spécialité : Sciences et Techniques du Déchet, Ecole Doctorale de Chimie de Lyon. Institut National des Sciences Appliquées de Lyon, France, 260 p.
EMMANUEL E. et P. LINDSKOG 2000, Regards sur la situation actuelle des ressources en eau de la République d’Haïti, 25p

GRANOTIER B (1980) La planète des bidonvilles, perspectives de l’explosion urbaine dans le tiers monde,ed du Seuil, Paris, 5e 311 p

Gourvernement Haitien / Minustah / Systèmes des Nations Unies en Haiti, Fiches d’informations sur les chantiers de developpement en Haiti : Axe III : Environnement,
Axe IV : Eau potable et Assainissement
HAI/86/003 United Nations Development Program, Department of Technical Cooperation Development., Développement et Gestion des Ressources en Eau, Disponibilités en Eau et Adéquation aux besoins.,
IHSI, IVe Recensement général de l’habitat de la population, 2003

KEBICHE M., BENABID C., ADJAL F., 1999. Pollution des eaux superficielles dans un climat semi aride : la région de Sétif (Algérie). Sciences et changements planétaires SECHERESSE. 10(2) 137 – 142.
LAGUERRE C (2002), Etude des possibilités de drainage du périmètre de l’ Islet-Marsay et proposition d’un plan en vue d’une meilleure valorisation.
LACOUR J., 2005,Caractérisation des substances Azotées et Phosphatées contenues dans les effluents liquides de la ravine Bois de chêne (Port-au-Prince), mémoire de fin d’études, Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, 57p
MARNDR/FAO (1991), Etude des resources en eau de la plaine des Cayes.
MICROSOFT ENCARTA. Encyclopédie multimédia numérique, 2004.





Remerciements
L’auteur remercie tous les professeurs du Département du Génie Rural à la FAMV et le professeur Féniel Philippe en particulier. Aussi nous remercions la CAMEP qui a accepté de conduire les analyses sans frais. Nos amis ALCINDOR Ewald et NOEL Verlaine sont aussi remerciés pour leurs conseils.

Rubrique: Divers
Auteur: Joseph Antoine BENECHE | benechej08@yahoo.fr
Date: 17 Nov 2009
Liste complète des mémoires et travaux de recherche